La retenue sur salaire par l’employeur pour des motifs disciplinaires est-elle légale en Côte d’Ivoire ?
La sanction pécuniaire sur la rémunération des salariés est-elle permise par le droit ivoirien ? L’employeur a-t-il le droit de retrancher une partie de la rémunération d’un travailleur par suite d’une faute ou un manquement de ce dernier ? Quelles sont les sanctions possibles auxquelles s’expose l’employeur auteur d’une telle sanction ?
Vous trouvez des réponses à toutes ces préoccupations dans cet article proposé par Joel Kouamé ATTUOMAN, juriste et auteur sur ivoire-juriste.
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De plus en plus courante, la méthode de sanction des infractions sur le lieu de travail inclut l'utilisation de sanctions pécuniaires. La méthode consiste à imposer des sanctions financières aux employés en cas de non-respect de la discipline. Cependant, il est crucial de noter que cette pratique n'a aucune base légale dans le droit du travail ivoirien, malgré sa fréquence. Dans cet article, notre objectif est d'examiner les répercussions de cette pratique ainsi que ses incompatibilités avec les lois en vigueur. De plus, nous discuterons des risques auxquels sont exposés les employeurs qui la mettent en œuvre.
1. Contexte et pratique des sanctions pécuniaires
Dans de nombreuses entreprises en Côte d'Ivoire, les amendes financières sont couramment employées afin de réprimer et de décourager les conduites considérées comme inappropriées ou préjudiciables. Les employeurs ont la possibilité de sanctionner les retards, absences injustifiées, négligences ainsi que les pertes ou erreurs professionnelles par l'imposition d'amendes. Malgré leur efficacité souvent reconnue par les employeurs, ces sanctions soulèvent diverses questions d'ordre juridique et éthique.
2. Cadre légal du droit du travail Ivoirien
La loi n°2015-532 du 20 juillet 2015 portant code du travail ivoirien, ne prévoit pas de dispositions spécifiques autorisant les sanctions pécuniaires.
Constitue une sanction disciplinaire toute mesure autre que des observations verbales, prise dans le cadre disciplinaire par l'employeur, à la suite, d'un agissement du salarié jugé fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence, la fonction ou la carrière du salarié dans l'entreprise.
Pour ce fait, l’article 17.3 énonce de manière exhaustive les différentes sanctions disciplinaires dans les relations de travail.
Ce sont :
• l'avertissement écrit ;
• la mise à pied temporaire sans salaire, d'une durée de 1 à 3 jours ;
• la mise à pied temporaire sans salaire, d'une durée de 4 à 8 jours ;
• le licenciement.
En plus, l'article 17.1 précise clairement qu'il est interdit à l'employeur d'infliger des sanctions pécuniaires ou une double sanction pour la même faute.
Sanctions pécuniaires : L'employeur n'a pas le droit d'imposer des sanctions qui se traduisent par des amendes ou des retenues sur le salaire du salarié. Cela signifie qu'un employeur ne peut pas punir un employé en réduisant son salaire ou en lui imposant une amende. Sauf bien évidemment dans les conditions de l’article 17.3 en ce qui concerne la mise à pied.
Double sanction pour la même faute : L'employeur ne peut pas punir deux fois un salarié pour une seule et même infraction ou faute. Une fois qu'une sanction a été décidée et appliquée pour une faute spécifique, l'employeur ne peut pas infliger une nouvelle sanction pour cette même faute.
Ces dispositions visent à protéger les droits des salariés en assurant que les sanctions disciplinaires soient justes et proportionnées, évitant ainsi les abus de pouvoir de la part de l'employeur. Les sanctions ne doivent en aucun cas porter atteinte à la dignité du salarié.
Par ailleurs, il faut préciser toute sanction disciplinaire doit faire l'objet d'une procédure contradictoire.
Une procédure contradictoire implique :
Droit à la défense : Avant d'infliger une sanction, l'employeur doit permettre au salarié de s'expliquer et de se défendre. Le salarié doit avoir la possibilité de donner sa version des faits, de présenter des arguments ou des preuves en sa faveur, et de répondre aux accusations portées contre lui. (Demande d’explication avec un délai de 72 h pour répondre)
Assistance : La réponse du travailleur peut être écrite ou verbale. Si la réponse est verbale, le travailleur peut se faire assister par un à trois délégués du personnel (s’il en existe), garantissant ainsi que le processus est équitable et que les droits du travailleur sont protégés.
Notification préalable : L'employeur doit informer le salarié de l'intention de le sanctionner et des raisons de cette sanction. La sanction doit être notifiée au travailleur dans les quinze (15) jours au plus tard ouvrables à compter de la date de réception des explications écrites. Cette notification permet au salarié de préparer sa défense.
Information à l'inspection du travail : Une copie de la sanction, accompagnée de la demande d’explication ainsi que des explications écrites du travailleur, doit être envoyée à l'Inspecteur du Travail et des Lois sociales du ressort et aux Délégués du Personnel (s’il en existe).
Équité et transparence : La procédure contradictoire assure que la décision de sanction est prise de manière équitable et transparente. Elle évite les décisions arbitraires et permet de vérifier que la sanction est justifiée et proportionnée à la faute commise.
En résumé, la procédure contradictoire est un mécanisme de protection pour le salarié, garantissant que toute sanction disciplinaire est prise après un examen attentif et équitable des faits et des explications du salarié.
3. Incompatibilité des Sanctions Pécuniaires avec le Code du Travail
Ainsi, au regard de l’article 17.1 susmentionné, la pratique des sanctions pécuniaires est en contradiction directe avec ces dispositions légales. En effet, la retenue sur salaire pour des motifs disciplinaires peut être considérée comme une atteinte à la rémunération due au salarié, ce qui est explicitement prohibé par le droit du travail ivoirien. Les retenues sur salaire ne sont permises que dans des cas spécifiques et réglementés, tels que la mise à pied, les avances sur salaire ou les saisies-arrêts pour dettes.
4. Risques et Conséquences pour les Employeurs
Les employeurs qui pratiquent des sanctions pécuniaires s'exposent à plusieurs risques, notamment des litiges judiciaires. Les employés peuvent contester ces sanctions devant l'inspection du travail ou les tribunaux compétents, ce qui peut entraîner des sanctions contre l'employeur, incluant des dommages-intérêts pour le préjudice subi par le salarié.
Exemple de cas : Un employeur qui impose une amende de 10 000 FCFA pour chaque jour de retard à un salarié pourrait être contraint de rembourser les sommes indûment prélevées, assorties d'intérêts, et pourrait également être condamné à verser des dommages-intérêts pour atteinte à la rémunération du salarié.
À retenir
Bien que couramment utilisée, la pratique des sanctions pécuniaires en Côte d'Ivoire ne repose sur aucune base légale et viole les droits des travailleurs tels qu'énoncés dans le Code du travail. Il est essentiel que les employeurs prennent des mesures disciplinaires conformes à la loi afin d'éviter tout litige coûteux et de maintenir un environnement de travail respectueux et équitable.
En résumé, les employeurs doivent absolument respecter scrupuleusement les lois relatives à la discipline au travail. Pour éviter de prendre des sanctions illégales, il est possible d'organiser la formation des responsables en ressources humaines et de promouvoir une communication efficace avec les employés concernant les attentes et les conséquences des fautes.
C’est ici que s’achève cet article traitant de la sanctions pécuniaire en Côte d'Ivoire. Cet article est de Joel Kouamé ATTUOMAN, juriste fiscaliste et créateur de contenu.
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