Cet article de doctrine traitant de l'intérêt de porter plainte avec constitution de partie civile, nous a généreusement été proposé par M. Essehi EBA FRANCOIS, Auditeur de Justice, Promotion 2016 (École de la Magistrature de Côte d’Ivoire).
Introduction
Dans notre société moderne, l’ordre social s'avère une nécessité de premier plan. Car l’homme de par sa nature égoïste, revancharde et envieuse est enclin à commettre des actions pouvant causer des préjudices à son alter ego.
Sur le plan du droit pénal, l’usage du terme infraction, est pertinemment emprunter pour qualifier ces actions susceptibles de nuire à l’ordre social. Pour que l’ordre soit maintenu, il faut que justice soit rendu à la partie victime d’un préjudice résultant d’une infraction.
C’est pourquoi, l’un des mécanismes élaboré par le droit pénal et qui fera l’objet de l’analyse de notre invité M. Essehi EBA FRANCOIS, requière d’être impérativement connu de tous. Il s’agit de porter plainte avec constitution de partie civile. Cette voie de droit permet à tout personne victime d’une infraction de saisir (le juge d’instruction) les autorités publiques afin que justice soit faite.
Constitue une infraction, au sens de l’art. 2 de la loi n° 2019-574 du 26 juin 2019 portant Code pénal, tout fait, action ou omission, qui trouble ou est susceptible de troubler l'ordre public ou la paix sociale en portant ou non atteinte aux droits des personnes et qui comme tel est légalement sanctionné. Pour le pénaliste italien Francesco CARRARA (1805-1888)2, l’infraction est la violation d’une loi de l’État, résultant d’un acte externe de l’homme, positif ou négatif, socialement imputable, ne se justifiant pas par l’accomplissement d’un devoir ou l’exercice d’un droit, et qui est puni d’une peine prévue par la loi.
Il ressort de ces deux (02) définitions que l’infraction est un acte illicite, un fait interdit, un agissement antisocial, un comportement dangereux et susceptible de porter atteinte au bon ordre social. Dans la plupart des cas, ce fait émane d’une personne physique, même si dans de rares hypothèses, une infraction peut être commise par une personne morale.
Ainsi, l’idée même d’infraction est indissociable de la nature intrinsèque de l’être humain et est de ce fait consubstantielle à toute société humaine, qu’elle soit primitive ou moderne. En effet, vivre en société comporte pour toute personne physique, une forte dose d’être auteur ou victime d’une infraction, d’autant plus que dans les sociétés modernes, une omission, une abstention ou même une action aussi insignifiante qu’elle puisse paraître peut être érigée au rang d’infraction dès lors qu’elle porte atteinte à l’harmonie sociale et aux droits subjectifs des particuliers ou des collectivités.
Conscient du péril auquel les particuliers et les collectivités sont exposés, en raison de la récurrence des infractions dans la plupart des sociétés modernes et surtout, dans l’optique d’éviter que ces infractions ne demeurent impunies, le Législateur ivoirien, à l’instar de la plupart de ses homologues, a institué une voie de droit conduisant à la répression des auteurs des faits et comportements antisociaux. Cette voie de droit ou action est dénommée action publique.
L’action publique, action pour l’application de la loi pénale, est principalement mise en mouvement et exercée par les Magistrats ou fonctionnaires auxquels elle est confiée par la loi. Ces Magistrats du Ministère Public, avec comme figure de proue, le Procureur de la République, sont chargés au nom et pour le compte de la société, de poursuivre toutes les infractions à la loi pénale.
Ainsi, en qualité d’organe de poursuite et de gardien des libertés individuelles, il revient au Procureur de la République de défendre les particuliers et les collectivités contre les atteintes à leurs droits légitimes, toutes les fois où ces atteintes sont constitutives d’infractions à la loi pénale.
Toutefois, le Ministère Public étant placé sous l’autorité directe du Pouvoir Exécutif, par le biais du Garde des Sceaux Ministre de la Justice et, son principal acteur, le Procureur de la République, étant le détenteur exclusif de l’opportunité des poursuites, il peut arriver que pour diverses raisons, tirées tant de la légalité que de l’opportunité, l’action publique soit gelée, alors même qu’une infraction a été commise.
En vue de vaincre cette inertie du Procureur de la République, parfois préjudiciable aux intérêts des particuliers ou des collectivités, le CPP a prévu au profit des victimes d’infractions plusieurs actions ou voies de droit conduisant à la mise en mouvement de l’action publique. Au nombre de ces actions figure la plainte avec constitution de partie civile, qui reste de loin la voie la plus usitée, certainement en raison de son efficacité, même si sa recevabilité reste tributaire du paiement obligatoire d’une consignation.
En effet, selon l’art. 106 du CPP « Toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit peut, en portant plainte, se constituer partie civile devant le Juge d’instruction compétent. » Il ressort de cette disposition que tout justiciable, victime d’infraction qualifiée crime ou délit, peut porter lesdits faits à la connaissance du Magistrat instructeur, porter plainte devant ce magistrat et se constituer partie civile. Si « porter plainte » est d’une acception à la portée de tous et ne nécessite pas d’explicitation particulière, cela n’est pas forcément le cas de la notion « se constituer partie civile », qui recèle un vaste contenu.
Se constituer partie civile consiste pour toute personne, victime d’infraction, à porter lesdits faits à la connaissance du Juge d’instruction, à solliciter de ce magistrat l’ouverture d’une information judiciaire, à réclamer le droit d’être partie à la procédure et à solliciter réparation du préjudice subi.
Ainsi, la particularité de la plainte avec constitution de partie civile, en dehors de ce qu’elle vise à porter des faits infractionnels à la connaissance des autorités judiciaires, réside surtout dans le fait qu’elle vise à demander, voire obliger le Juge d’instruction à ouvrir une information judiciaire à l’effet d’élucider lesdits faits. Mieux, cette action vise à faire de la victime, partie intégrante à la procédure et à obtenir éventuellement réparation du préjudice né de l’infraction.
De ce fait, la plainte simple adressée au Juge d’instruction se distingue nettement de la précédente. Celle-ci ne vise nullement à mettre en mouvement l’action publique. Elle vise simplement à porter des faits infractionnels à la connaissance du Juge d’instruction en sa qualité d’Officier de police judiciaire. En cette occurrence, ce magistrat peut soit investiguer, en dehors de toute information judiciaire, soit porter cette plainte à la connaissance du Procureur de la République, qui apprécie souverainement les suites à lui donner.
Aussi, la constitution de partie civile devant le Juge d’instruction à la suite d’une plainte avec constitution de partie civile doit être distinguée d’une autre forme de constitution de partie civile, à savoir celle qui intervient directement devant ce magistrat alors même qu’une information judiciaire a déjà été ouverte, soit à l’initiative du Ministère Public, soit à la suite de la plainte d’une précédente partie civile.
La première est dite constitution par voie d’action, tandis que la seconde forme est dénommée constitution par voie d’intervention. En effet, aux termes de l’art. 108 du CPP, la constitution de partie civile peut avoir lieu à tout moment au cours de l’instruction. Il s’induit que toute personne lésée, même qui n’a pas mis en mouvement l’action publique, peut se constituer partie civile au cours d’une information judiciaire déjà ouverte. Elle acquiert de ce fait les mêmes droits que la partie civile qui a mis en mouvement l’action publique à la suite d’une plainte avec constitution de partie civile.
De façon générale, la plainte avec constitution de partie civile n’est revêtue d’aucune forme particulière. Toutefois, en pratique, elle est écrite et contient notamment l’exposé des faits, la qualification desdits faits, les textes de poursuite, ainsi que l’évaluation du préjudice allégué. En tout état de cause, pour être considérée comme telle, elle doit obligatoirement être intitulée plainte avec constitution de partie civile. Dans le cas contraire, elle sera traitée comme une plainte simple, insusceptible de mettre en mouvement l’action publique.
Au Tribunal de Première Instance d’Abidjan, les plaintes avec constitution de partie sont adressées au Doyen des Juges d’instruction.
Ce magistrat fixe le montant de la consignation, et communique lesdites plaintes au Procureur de la République, après réception de la preuve du paiement de la consignation au Greffe dudit Tribunal.
Lorsque ces plaintes reviennent du Parquet, avec les réquisitions du Procureur de la République, qu’elles soient à fin d’informer ou de refus d’informer, il les attribue, conformément aux dispositions de l’art. 102 du CPP6, à un Juge d’instruction, qu’il désigne, en délégation des pouvoirs du Président du Tribunal.
Tout ce qui précède suscite les interrogations suivantes : la constitution de partie civile devant le Juge d’instruction revêt-elle un intérêt véritable ? Autrement dit, quel est l’intérêt pour la partie civile de porter plainte et de se constituer partie civile devant le magistrat instructeur. Ce mode de mise en mouvement de l’action publique, ne comporte-t-il pas des limites ?
I- LA PLAINTE AVEC CONSTITUTION DE PARTIE CIVILE : UNE ACTION REVÊTUE D’UN INTÉRÊT CERTAIN
La pratique judiciaire a au fil des années démontré que la plainte avec constitution de partie civile revêt, à plusieurs égards, un intérêt certain qui ne saurait être nié.
D’une part, elle constitue l’un des rares moyens de vaincre l’inertie du Ministère Public, en ce qu’elle conduit, au gré des Magistrats chargés de la poursuite des infractions à la loi pénale, à la mise en mouvement de l’action publique (A). D’autre part, cette voie de droit confère des prérogatives et des droits considérables à la partie lésée ou la victime d’infraction, qui en use (B).
A- Un moyen de mise en mouvement de l’action publique.
L’article 6 al. 1er de la loi N°2018-975 du 27 décembre 2018 portant Code de procédure pénale de Côte d’Ivoire dispose que « L’action publique pour l’application de la loi pénale est mise en mouvement et exercée par les magistrats ou fonctionnaires auxquels elle est confiée par la loi ».
Il s’induit de ce texte qu’en cas de commission d’une infraction, il revient à titre principal à une catégorie particulière de Magistrats, en l’occurrence ceux investis des fonctions de poursuite, avec comme figure de proue le Procureur de la République, ainsi qu’aux fonctionnaires de certaines Administrations publiques d’engager les poursuites afin de parvenir au prononcé d’une sanction à l’encontre du présumé auteur ou complice de ladite infraction.
Cependant, à titre accessoire, la partie lésée ou la victime d’une infraction peut également mettre en mouvement l’action publique. L’un des moyens les plus efficaces qui s’offrent à elle pour déclencher cette action demeure la plainte avec constitution de partie civile.
Aux termes de l’art. 106 du CPP, toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit peut, en portant plainte, se constituer partie civile devant le Juge d’Instruction compétent. L’une des particularités de la plainte avec constitution de partie civile réside dans sa capacité à vaincre l’inertie du Ministère Public.
En effet, en investissant la partie lésée du droit de saisir de l’action civile le Juge d’instruction, le Législateur ivoirien, à travers le texte susvisé, a nécessairement entendu que le dépôt de la plainte entre les mains de ce Magistrat avec constitution de partie civile, mettrait l’action publique en mouvement.
C’est un tempérament au principe général suivant lequel l’action pour l’application des peines appartient à titre principal aux Magistrats auxquels elle est confiée par la loi. Ainsi, dans un système judiciaire comme celui de la Côte d’Ivoire dans lequel le Procureur de la République est investi du pouvoir de l’opportunité des poursuites, en ce qu’il reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner, la plainte avec constitution de partie civile revêt tout son sens.
Cet effet déclencheur attaché à la plainte avec constitution de partie civile a été affirmé depuis le 08 décembre 1906 par la Chambre criminelle de la Cour de Cassation Française, dans son célèbre Arrêt PLACET dit Laurent-ATTHALIN.
La Cour a même renforcé ce principe dans une autre décision de 1925, en décidant que le Juge d’instruction avait l’obligation d’inculper la personne visée par la plainte à la suite de la constitution de partie civile.
S’il est notoirement admis en théorie que la plainte avec constitution de partie civile met automatiquement en mouvement l’action publique, même en cas d’opposition du Procureur de la République, cette affirmation mérite cependant d’être nuancée. Dire que la plainte avec constitution de partie civile permet de vaincre l’inertie du Ministère Public et met automatiquement l’action publique en mouvement n’est pas juridiquement exact, et ce, pour trois (03) raisons au moins.
Tout d’abord, il ne suffit pas que la partie lésée dépose une plainte entre les mains du Juge d’instruction et se constitue partie civile pour que ce Magistrat prenne la résolution d’ouvrir une information judiciaire. La recevabilité de ladite plainte est tributaire du paiement obligatoire d’une somme d’argent appelée consignation. En effet, selon l’art. 109 al. 1er du CPP, la partie civile qui met en mouvement l’action publique doit, si elle n’a obtenu l’assistance judiciaire, et sous peine de non-recevabilité de sa plainte, consigner au greffe la somme présumée nécessaire pour les frais de la procédure.
Le montant de cette somme fixée par ordonnance du Juge d’Instruction est fonction des faits dénoncés et de la complexité des investigations à mener, de la nature des recherches à effectuer, des actes à consulter, des éventuels déplacements que vont nécessiter les investigations, etc. Ainsi, les justiciables ne doivent nullement être surpris de voir que pour des infractions similaires portées à la connaissance du Magistrat instructeur, ce dernier peut fixer des sommes différentes au titre de la consignation.
À titre d’exemple, une partie lésée qui rapporte tous les éléments de preuve de l’infraction de faux et usage de faux allégué se verra fixer une consignation moins élevée qu’une autre partie civile qui se contente de raconter les faits allégués dans sa plainte sans en rapporter les preuves matérielles ou les pièces et documents altérés.
La première partie civile facilite plus ou moins l’office du Juge d’instruction. Au cours de l’information, un supplément de consignation peut être exigé de la partie civile, par ordonnance du Juge d’Instruction, dès que le reliquat paraît insuffisant pour assurer le paiement de tous les frais.
Toutefois, la partie civile si elle a obtenu l’assistance judiciaire, ne verra pas la recevabilité de sa plainte conditionnée par le paiement d’une consignation.
Ensuite, le Juge d’instruction à qui la plainte est adressée ne peut dès réception de celle-ci, même lorsque la partie civile a consigné la somme nécessaire au greffe, décider d’informer. Il doit au préalable communiquer ladite plainte au Procureur de la République, magistrat chargé en principe de la mise en mouvement de l’action publique pour que ce dernier donne son avis sur le sort de la plainte.
Cette exigence découle de l’art. 107 du CPP qui dispose que le Juge d’Instruction ordonne communication de la plainte au Procureur de la République pour que ce magistrat prenne ses réquisitions. C’est donc une autre limite à la croyance populaire selon laquelle la plainte avec constitution de partie civile déclenche automatiquement l’action publique, même en cas d’opposition du Procureur de la République.
Cette communication, loin d’être une simple exigence formelle, est une prescription légale qui vise à recueillir les réquisitions du Procureur de la République, qui demeure le seul Magistrat investi des pouvoirs de poursuite.
Toutefois, parce qu’il s’agit d’une plainte avec constitution de partie civile, ce magistrat ne peut saisir le Juge d’instruction de réquisitions de non-informer que si, pour des causes affectant l’action publique elle-même, les faits ne peuvent légalement comporter une poursuite ou si, à supposer ces faits démontrés, ils ne peuvent admettre aucune qualification pénale. Autrement dit, le Procureur de la République, lorsqu’il reçoit communication d’une telle plainte, peut user de son pouvoir d’opportunité des poursuites et prendre ainsi des réquisitions invitant le Juge d’instruction à ne pas donner suite à ladite plainte.
Mais, si dans les autres hypothèses, le Procureur de la République, en vertu de son pouvoir d’opportunité des poursuites, peut prendre des réquisitions de non informer fondées sur des motifs de droit ou tirés de la simple opportunité, en matière de plainte avec constitution de partie civile, lesdites réquisitions sont limitées dans leur étendue, car elles ne peuvent être fondées que sur des motifs légaux exhaustivement énumérés par le CPP.
Ainsi, aux termes des dispositions de l’art. 107 in fine du CPP, le Procureur de la République ne peut prendre des réquisitions de non informer que si les faits allégués par la partie lésée ne peuvent légalement comporter une poursuite, d’une part, ou si, à supposer ces faits démontrés, ils ne peuvent admettre aucune qualification pénale, d’autre part.
De ce fait, dès lors que les faits allégués par la parte lésée sont constitutifs d’infraction à la loi pénale, le Procureur de la République ne peut user de son opportunité des poursuites. Il est obligé dans ce cas d’adresser un réquisitoire introductif d’instance au Magistrat instructeur.
C’est dans cette hypothèse précise qu’on serait fondé à affirmer que la plainte avec constitution de partie civile met automatiquement l’action publique en mouvement. Toutefois, il convient de souligner que le Juge d’instruction peut passer outre les réquisitions de non informer du Procureur de la République, par une ordonnance motivée.
Enfin, même si la partie lésée a consigné au greffe la somme présumée nécessaire pour les frais de la procédure et que le Procureur de la République a pris des réquisitions à fins d’informer, la mise en mouvement de l’action publique peut se heurter à un autre obstacle. En effet, le Juge d’instruction en sa qualité de magistrat du siège n’est nullement tenu par les réquisitions du Procureur de la République encore moins par les faits allégués par la partie lésée.
Ainsi, le Magistrat instructeur peut refuser d’informer en rendant soit une ordonnance de refus d’informer ou d’incompétence, selon les circonstances de l’espèce. L’ordonnance de refus d’informer peut intervenir toutes les fois où le Juge estimera que les faits ne constituent pas une infraction à la loi pénale ou que lesdits faits sont prescrits, amnistiés, etc.
Quant à l’ordonnance d’incompétence, elle peut être rendue lorsque ce magistrat n’est pas compétent, au sens de l’art. 59 du CPP, qui dispose que « Sont compétents le juge d’Instruction du lieu de l’infraction, celui de la résidence de l’une des personnes soupçonnées d’avoir participé à l’infraction, celui du lieu d’arrestation d’une de ces personnes, même lorsque cette arrestation a été opérée pour une autre cause. »
En résumé, il convient de retenir que la plainte avec constitution de partie civile revêt un véritable intérêt, car elle permet, à certains égards, de mettre en mouvement l’action publique, même en cas d’inertie du Ministère public.
Mais, là n’est pas le seul intérêt qui lui est attaché. Elle confère également des prérogatives à la partie lésée qui devient désormais partie à la procédure, lorsque celle-ci est effectivement engagée.
B- Une source de prérogatives pour la partie lésée
La partie lésée qui réussit à mettre en mouvement l’action publique à la suite de sa plainte avec constitution de partie civile devient immédiatement partie à la procédure judiciaire et acquiert subséquemment d’énormes prérogatives.
D’abord, la victime qui devient partie civile dès l’ouverture de l’information participe à la procédure en apportant son témoignage et en fournissant éventuellement des pièces et documents utiles à la manifestation de la vérité. Ainsi, tout comme un témoin, la partie civile, au cours de son audition, pourra fournir des informations au magistrat instructeur. Elle pourra livrer des éléments à décharge, mais surtout des éléments à charge, en soutien de l’infraction alléguée.
Ensuite, en sa qualité de partie au procès, la partie civile peut prendre connaissance du dossier de la procédure, par l’entremise de son conseil. En effet, aux termes des dispositions de l’art. 135 al. 4 du CPP, le dossier de la procédure est mise à la disposition du conseil de la partie civile, vingt-quatre heures au plus tard avant les auditions de cette dernière. Ainsi, le secret interne de l’instruction ne s’impose pas à la partie civile. C’est seulement le secret externe de l’instruction, qui implique que les éléments de la procédure ne soient communiqués aux tiers, qui s’impose à la partie civile.
Au nombre des prérogatives accordées à la partie civile figure en outre le droit reconnu à celle-ci de solliciter du Juge d’Instruction, l’accomplissement d’actes d’information lui paraissant utiles à la manifestation de la vérité. Ainsi, en vertu de ce droit, la partie civile a le pouvoir d’orienter les investigations du magistrat instructeur vers des pistes qui peuvent au final s’avérer concluantes et utiles au succès de l’enquête.
Toutefois, le Juge n’est pas tenu de faire droit à la requête de la partie civile. S’il ne croit pas devoir procéder aux actes requis, il doit rendre, dans les cinq jours qui suivent cette demande, une ordonnance motivée. Passé ce délai, le Juge d’instruction est tenu d’accomplir les actes requis.
Par ailleurs, la partie civile, en dehors du droit de prendre connaissance du dossier de la procédure par l’entremise de son conseil, avant son audition, reçoit obligatoirement avis de la demande de mise en liberté provisoire formulée par l’inculpé.
En effet, il ressort de l’art. 172 in fine que le Juge d’instruction donne avis de la demande de mise en liberté provisoire introduite par l’inculpé à la partie civile.
Cette exigence vise à recueillir les observations de celle-ci, dans un délai de 48 heures à compter de la réception dudit avis. Si la loi fait obligation au Juge de donner avis à la partie civile de la demande formulée par l’inculpé, les observations éventuelles de celle-ci tendant à s’opposer à cette mise en liberté ne sont cependant pas déterminantes dans la décision définitive. Le Juge d’instruction, en dépit de l’opposition de la partie civile et de celle du Procureur de la République, peut ordonner la mise en liberté d’office de l’inculpé.
En outre, le CPP reconnaît d’énormes prérogatives à la partie civile en matière d’expertise au cours de l’information judiciaire. Aux termes de l’art. 193 dudit Code, le Juge d’instruction dans le cas où se pose une question d’ordre technique peut, à la demande des parties, ordonner une expertise judiciaire.
Ainsi, la partie civile, en vue de participer à la manifestation de la vérité, peut prendre l’initiative de solliciter du magistrat instructeur, la nomination d’un expert. Toutefois, cette demande ne s’impose pas au Juge qui peut par ordonnance motivée, déclarer ne pas faire droit à cette demande.
Aussi, la décision ordonnant l’expertise, est notifiée aux parties (partie civile et inculpé) et précise les noms et qualités de l’expert ainsi que le libellé de la mission. Lorsque l’expertise est ordonnée d’office par le Juge d’instruction, la partie civile peut présenter en la forme gracieuse, ses observations, portant notamment sur le choix de l’expert ou sur sa mission.
Au cours de l’expertise, le CPP reconnaît à la partie civile le droit de demander au Juge qu’il soit prescrit à l’expert d’effectuer certaines recherches ou d’entendre toute personne nommément désignée qui serait susceptible de lui fournir des renseignements d’ordre technique.
Au terme des opérations d’expertise, le Juge d’instruction convoque la partie civile pour lui donner connaissance des conclusions et reçoit ses déclarations. Le rapport est mis à la disposition de celle-ci et de son conseil qui peuvent en obtenir copies à leur frais.
Mieux, dans un délai fixé par le Juge d’instruction, la partie civile peut présenter des observations ou formuler des demandes, notamment aux fins de complément d’expertise ou de contre-expertise.
Enfin, la prérogative la plus importante reconnue à la partie civile qui a mis en mouvement l’action publique demeure son droit intangible de relever appel de certaines décisions du Juge d’instruction.
En effet, la partie civile à qui une ordonnance rendue par le magistrat instructeur fait grief peut saisir la Chambre d’instruction à l’effet d’obtenir son annulation. Contrairement au Procureur de la République qui peut relever appel de toutes les ordonnances du Juge d’instruction, le droit d’appel reconnu à la partie civile ne peut s’exercer qu’à l’égard des ordonnances exhaustivement énumérées par le CPP. Aux termes des dispositions de l’art. 221 du CPP, la partie civile peut interjeter appel des ordonnances de non informer, de non-lieu et des ordonnances faisant grief à ses intérêts civils.
Toutefois, l’appel de la partie civile ne peut, en aucun cas, porter sur une ordonnance ou sur la disposition d’une ordonnance relative à la détention de l’inculpé. Ainsi, elle ne peut faire appel d’une ordonnance par laquelle le Juge d’instruction a fait droit ou a refusé la mise en liberté provisoire de l’inculpé. Par ailleurs, la partie civile peut relever appel de l’ordonnance par laquelle le Juge d’instruction a statué sur sa compétence.
Elle peut aussi interjeter appel des ordonnances rejetant sa demande d’expertise, de complément d’expertise ou de contre-expertise. Cet appel est interjeté dans les soixante-douze (72) heures à compter de la notification de l’ordonnance à l’intéressé ou à son conseil s’il en a.
Le délai court du jour de la notification qui lui est faite, conformément à l’art. 217 du CPP. L’appel a lieu, soit par déclaration au greffe d’instruction, soit par lettre recommandée avec accusé de réception ou par télégramme, soit par lettre au porteur contre décharge.
Il ressort de ce qui précède que la plainte avec constitution de partie civile revêt un véritable intérêt en ce qu’elle participe activement à la mise en mouvement de l’action et confère subséquemment d’énormes prérogatives à la partie civile, qui devient désormais partie à la procédure.
Cependant, il est à déplorer qu’à certains égards, l’intérêt attaché à la plainte avec constitution de partie civile demeure très limité.
II- LA PLAINTE AVEC CONSTITUTION DE PARTIE CIVILE : UNE ACTION A L’INTÉRÊT LIMITE
À certains égards, la plainte avec constitution de partie civile peut s’avérer dénuée d’intérêt pratique réel. Cette action peut même s’avérer périlleuse pour la partie lésée qui en prend l’initiative, d’autant plus qu’elle s’expose à une condamnation au paiement de dommages et intérêts, voire une condamnation à une peine privative de liberté pour dénonciation calomnieuse (A).
Aussi, s’agissant de la réparation du préjudice résultant de l’infraction, celle-ci n’est que conditionnelle, car la constitution de partie civile devant le Juge d’instruction ne suffit pas pour obtenir réparation du préjudice (B).
A- Une action parfois périlleuse pour la partie lésée
La plainte avec constitution de partie vise à solliciter du Juge d’instruction l’ouverture d’une information judiciaire à l’effet d’élucider des faits de nature infractionnelle reprochés à un particulier ou à une personne morale.
De ce fait, cette action vise à imputer des faits à une autre personne, à porter une accusation contre un tiers. Si dans certaines hypothèses, au terme des investigations menées par le Magistrat instructeur, cette allégation peut s’avérer exacte et fondée, elle peut cependant, souventes fois, s’avérer mensongère, diffamatoire et dénuée de toute véracité.
Dans ce dernier cas, il est évident que la ou les personnes visées par la plainte peuvent voir leur honneur et réputation à jamais ternis. En guise de défense, celles-ci peuvent à leur tour initier diverses actions à l’encontre de la partie civile qui a mis l’action publique en mouvement.
Des actions distinctes s’offrent à ces personnes initialement visées qui au final se trouvent être des victimes.
Selon l’art. 112 al. 1er du CPP, « Quand, après une information ouverte sur constitution de partie civile, une décision de non-lieu a été rendue, l’inculpé et toutes personnes visées dans la plainte, et sans préjudice d’une poursuite pour dénonciation calomnieuse, peuvent, s’ils n’usent de la voie civile, demander des dommages -intérêts à la partie civile pour abus de constitution de partie civile, dans les formes indiquées ci-après. »
Il résulte de ce texte que suite à une instruction préparatoire ouverte en vertu d’une plainte avec constitution de partie civile, si une ordonnance de non-lieu a été rendue par le Magistrat instructeur, l’inculpé et toutes les parties visées par la plainte peuvent à leur tour initier contre la partie lésée, soit une action en paiement de dommages et intérêts pour abus de constitution de partie civile, soit une action en dénonciation calomnieuse.
S’agissant de l’action en paiement de dommages et intérêts pour abus de constitution de partie civile, il convient de relever que celle-ci est soumise à deux conditions.
D’une part, l’action publique doit avoir été mise en mouvement par la partie lésée en vertu d’une plainte avec constitution de partie civile. Autrement dit, l’information judiciaire doit être consécutive à une plainte avec constitution de partie civile.
De ce fait, cette action ne peut guère être initiée si l’action publique a été mise en mouvement à l’initiative du Ministère Public et que la partie civile n’a fait que se constituer partie civile au cours de l’information judiciaire (constitution de partie civile par voie d’intervention), conformément aux dispositions de l’art. 108 al. 1er susvisé. D’autre part, l’information doit se solder par une décision de non-lieu.
Dans le cas contraire, si le Juge d’instruction a rendu une ordonnance de renvoi devant les juridictions de jugement (en cas de délit ou contravention) ou une ordonnance de transmission des pièces au Procureur général (en cas de crime), l’inculpé et les autres personnes visées par la procédure ne peuvent valablement initier une telle action.
L’action en dommages-intérêts doit être introduite dans les trois (03) mois du jour où l’ordonnance de non-lieu est devenue définitive, c’est-à-dire insusceptible de faire l’objet de recours aussi bien de la part du Ministère Public que des parties.
Elle est portée par voie de citation devant le Tribunal correctionnel où l’affaire a été instruite (à titre d’illustration, si la plainte avec constitution de partie civile avait été portée devant l’un des magistrats instructeurs du TPI d’Abidjan, c’est le Tribunal correctionnel du Siège de cette juridiction qui sera saisi de l’action).
Ce Tribunal est immédiatement saisi du dossier de l’information terminée par une ordonnance de non-lieu, en vue de sa communication aux parties. Les parties, ou leurs conseils, et le Ministère public sont entendus. Le jugement est rendu en audience publique.
En cas de condamnation, le Tribunal peut ordonner la publication intégrale ou par extraits de son jugement dans un ou plusieurs journaux qu’il désigne, aux frais du condamné, c'est-à-dire la partie lésée qui avait précédemment mis l’action publique en mouvement.
Le Tribunal fixe le coût maximum de chaque insertion. L’opposition, s’il échet, et l’appel sont recevables dans les délais de droit commun en matière correctionnelle. L’appel est porté devant la chambre des appels correctionnels statuant dans les mêmes formes que le Tribunal. L’arrêt de la Cour d’appel peut être déféré à la Cour de cassation comme en matière pénale.
En dehors de la voie pénale, l’inculpé et les parties visées par la plainte avec constitution de partie civile peuvent également porter leur action devant la Juridiction civile compétente. Toutefois, nous estimons que l’octroi des dommages et intérêts n’est pas automatique.
Il revient à la juridiction civile saisie d’apprécier si l’inculpé ou les personnes visées dans la plainte ont effectivement subi un préjudice du fait de l’initiative hasardeuse de la partie civile.
S’agissant d’une action en responsabilité civile délictuelle, fondée sur les articles 1382 du Code civil, il revient à la juridiction civile de vérifier la réunion des conditions, à savoir l’existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité.
La faute pouvant s’analyser en l’espèce dans l’attitude de la partie lésée, qui sans prendre de précautions ou tout simplement de manière malveillante a initié une procédure à l’encontre de l’inculpé sur la base d’allégations mensongères ou non fondées. Quant au préjudice, il peut être matériel ou moral.
Le préjudice matériel résulte notamment des sommes déboursées par l’inculpé pour s’attacher les services d’un conseil en vue d’assurer sa défense, des pertes financières enregistrées ou des gains manqués en raison de la suspension des activités de ce dernier en raison de l’ouverture de l’information judiciaire qui s’est soldée par son placement en détention préventive ou sous contrôle judiciaire.
En ce qui concerne la seconde action, contrairement à la précédente, elle est entièrement de nature pénale et peut, en dehors de la réparation du préjudice subi, déboucher sur le prononcé d’une sanction pénale à l’encontre de l’initiateur de la plainte ayant justifié l’ouverture de l’information judiciaire.
En effet, lorsqu’à la suite d’une plainte avec constitution de partie civile, le Juge d’instruction rend une ordonnance de non-lieu, l’inculpé et les personnes visées par la plainte peuvent engager des poursuites à l’encontre de la partie civile pour des faits de dénonciation calomnieuse.
Cette action est intentée exclusivement devant les juridictions répressives, d’autant plus qu’il s’agit de faire prononcer des sanctions de nature pénale à l’encontre de l’auteur d’une infraction qualifiée délit. L’article 446 du Code pénal qui prévoit cette infraction dispose qu’« est calomnieuse la dénonciation intentionnellement mensongère, par quelque moyen que ce soit, d'un fait faux, susceptible d'exposer celui qui en est l'objet à une sanction de l'autorité administrative, de son employeur ou à des poursuites judiciaires. ».
Le Tribunal correctionnel saisi, notamment par voie de citation directe à la requête de la partie civile, doit analyser les faits portés à sa connaissance en vérifiant si les éléments constitutifs du délit de dénonciation calomnieuse sont réunis et réalisés. Dans son office, le Tribunal doit nécessairement rechercher la volonté de nuire de la partie lésée qui a suscité l’ouverture de l’information judiciaire.
Cette volonté de nuire est nécessaire d’autant plus que la dénonciation calomnieuse est une infraction intentionnelle, d’autant plus que suivant la disposition précitée, la dénonciation doit être intentionnellement mensongère.
Ainsi, même si l’information judiciaire s’est soldée par une décision de non-lieu, le Tribunal doit rechercher si l’intention de l’auteur de la plainte avec constitution de partie civile était de léser l’inculpé en l’exposant délibérément à une sanction de l’autorité administrative, de son employeur ou de l’appareil judiciaire.
En effet, si le Tribunal correctionnel se borne à sanctionner systématiquement la partie lésée toutes les fois où l’information se solde par un non-lieu, cela pourrait dissuader les justiciables à user de la plainte avec constitution de partie civile, alors même qu’il s’agit d’une voie de droit légale prévue au profit de toute personne. Or, l’exercice d’une voie de droit ne doit nullement être entravé par la crainte de pouvoir se voir réprimer à son tour, alors même que l’usage était de bonne foi.Si la juridiction répressive saisie estime que les faits de dénonciation calomnieuse sont constitués, elle prononce à l’encontre de l’auteur de la plainte avec constitution de partie civile, une peine d’emprisonnement d’un an à cinq ans et d’une amende de 100.000 à 1.000.000 de francs.
Outre ces sanctions pénales, l’inculpé et les parties visées par la plainte avec constitution de partie civile peuvent se constituer partie civile à l’audience et solliciter la condamnation de leur adversaire au paiement de dommages et intérêts. Cette décision est susceptible de faire l’objet de recours suivant les voies de droit commun.
En résumé, la plainte avec constitution de partie civile peut exposer son initiateur à des poursuites tant pénales que civiles. Par ailleurs, contrairement à la croyance populaire, cette action ne peut en aucun cas permettre à la partie lésée d’obtenir réparation du préjudice.
En effet, si le Tribunal correctionnel se borne à sanctionner systématiquement la partie lésée toutes les fois où l’information se solde par un non-lieu, cela pourrait dissuader les justiciables à user de la plainte avec constitution de partie civile, alors même qu’il s’agit d’une voie de droit légale prévue au profit de toute personne. Or, l’exercice d’une voie de droit ne doit nullement être entravé par la crainte de pouvoir se voir réprimer à son tour, alors même que l’usage était de bonne foi.Si la juridiction répressive saisie estime que les faits de dénonciation calomnieuse sont constitués, elle prononce à l’encontre de l’auteur de la plainte avec constitution de partie civile, une peine d’emprisonnement d’un an à cinq ans et d’une amende de 100.000 à 1.000.000 de francs.
Outre ces sanctions pénales, l’inculpé et les parties visées par la plainte avec constitution de partie civile peuvent se constituer partie civile à l’audience et solliciter la condamnation de leur adversaire au paiement de dommages et intérêts. Cette décision est susceptible de faire l’objet de recours suivant les voies de droit commun.
En résumé, la plainte avec constitution de partie civile peut exposer son initiateur à des poursuites tant pénales que civiles. Par ailleurs, contrairement à la croyance populaire, cette action ne peut en aucun cas permettre à la partie lésée d’obtenir réparation du préjudice.
B- Une action ne conduisant pas directement à la réparation du préjudice subi.
Si dans la plupart des cas, savoir que l’auteur d’une infraction a fait l’objet d’une condamnation pénale est une chose rassurante pour la société en générale et pour la victime en particulier, il ne faut cependant pas nier que l’objectif principal pour toute personne qui saisit le Juge d’instruction d’une plainte avec constitution de partie civile est d’obtenir réparation du préjudice né de l’infraction dont elle a été victime.
En effet, l’intérêt de la plainte avec constitution de partie, outre celui tendant à la mise en mouvement de l’action publique, réside surtout dans l’opportunité offerte à la partie lésée d’obtenir le paiement de dommages et intérêts en compensation du préjudice matériel, corporel ou moral résultant de l’infraction dont elle a été victime. Mieux, plus qu’une opportunité, il s’agit en réalité de l’unique prérogative à laquelle cette dernière peut prétendre, d’autant plus que contrairement à la croyance populaire, il ne revient pas à la partie lésée de solliciter le prononcé d’une peine à l’encontre de l’auteur des faits, cette prérogative relevant du pouvoir exclusif et souverain du Ministère Public, qui a seul qualité pour requérir l’application de la loi pénale.
En effet, l’intérêt de la plainte avec constitution de partie, outre celui tendant à la mise en mouvement de l’action publique, réside surtout dans l’opportunité offerte à la partie lésée d’obtenir le paiement de dommages et intérêts en compensation du préjudice matériel, corporel ou moral résultant de l’infraction dont elle a été victime. Mieux, plus qu’une opportunité, il s’agit en réalité de l’unique prérogative à laquelle cette dernière peut prétendre, d’autant plus que contrairement à la croyance populaire, il ne revient pas à la partie lésée de solliciter le prononcé d’une peine à l’encontre de l’auteur des faits, cette prérogative relevant du pouvoir exclusif et souverain du Ministère Public, qui a seul qualité pour requérir l’application de la loi pénale.
Cependant, s’il est constant d’observer que dans la plupart des cas, la partie lésée se constitue partie civile devant le Juge d’instruction et évalue subséquemment le montant du préjudice par elle subi devant ce magistrat, il est impérieux de souligner que juridiquement, celle-ci ne peut valablement obtenir réparation du préjudice allégué au cours de la phase préparatoire du procès pénal. Pour ce faire, il est nécessaire que la partie lésée comparaisse à nouveau devant les juridictions de jugement en vue de réitérer sa constitution de partie civile et obtenir éventuellement réparation de son préjudice.
Loin d’être une exigence supplémentaire, cette nécessaire comparution devant les juridictions de jugement est fondée en droit. En effet, la condamnation d’un prévenu ou d’un accusé à la réparation du préjudice résultant d’une infraction est une question consubstantielle à la culpabilité ou à l’innocence de la personne poursuivie. Juridiquement, le Tribunal ne peut condamner un prévenu ou accusé au paiement de dommages et intérêts au profit de la partie civile que si ce dernier a été déclaré coupable des faits infractionnels mis à sa charge.
Or, le Juge d’instruction, en sa qualité d’investigateur, ne fait que rassembler les charges susceptibles d’être retenues à l’encontre de la personne poursuivie, lesquelles pourront éventuellement être utilisées par les juridictions de jugement.
Le Juge d’instruction ne se prononce guère sur la culpabilité de la personne poursuivie, de sorte qu’il ne peut valablement la condamner à réparer le préjudice allégué par la partie lésée. Cette tâche revient exclusivement au Tribunal de simple police, au Tribunal correctionnel ou au Tribunal criminel selon la nature de l’infraction poursuivie.
C’est donc devant ces juridictions que la partie qui a mis en mouvement l’action publique à la suite d’une plainte avec constitution de partie civile pourra prétendre au paiement de dommages et intérêts, seulement dans le cas où la personne poursuivie aura été reconnue coupable.
Ainsi, pour effectivement obtenir réparation du préjudice qui lui a été causé, la partie lésée bien que s’étant déjà constituée partie civile devant le Juge d’instruction et ayant, le cas échéant évalué son préjudice, devra obligatoirement réitérer sa constitution de partie civile à l’audience même. La déclaration de constitution de partie civile se fait soit avant l’audience au greffe, soit pendant l’audience par déclaration consignée par le greffier ou par dépôt de conclusions.
Pendant l’audience, la déclaration de partie civile peut être faite jusqu’au prononcé du jugement sur le siège ou la mise en délibéré. Cette déclaration de constitution de partie civile devant les juridictions de jugement est obligatoire, d’autant plus que la partie civile régulièrement citée qui ne comparaît pas ou qui n’est pas représentée à l’audience est considérée comme se désistant de sa constitution de partie civile.
Par ailleurs, il ne suffit pas que la partie civile comparaisse à l’audience ou qu’elle se fasse représenter pour que sa constitution de partie civile soit reçue. Il revient à la juridiction de jugement compétente d’apprécier la recevabilité de cette action en réparation. En effet, le Tribunal apprécie la recevabilité de la constitution de partie civile et, s’il échet, déclare cette constitution irrecevable.
Il convient de rappeler que selon les articles 7, 106, 345 et 428 du CPP, ne peut se constituer partie civile que la personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit. De ce fait, n’a pas qualité à agir, la personne qui n’a nullement été lésée par l’infraction ou celle qui n’a subi aucun préjudice direct ou indirect découlant d’une infraction.
La déclaration de constitution de partie civile d’une telle personne pourra être déclarée irrecevable par le Tribunal alors même qu’elle a mis en mouvement l’action publique suite à une plainte avec constitution de partie civile. Aussi, l’action civile étant une action en justice, il revient à la partie lésée de satisfaire aux conditions générales de recevabilité des actions en justice, notamment, la qualité, la capacité et l’intérêt à agir. Par conséquent, même si la partie lésée a réussi à mettre en mouvement l’action suite à sa plainte avec constitution de partie civile, son action devant les juridictions de jugement peut valablement être déclarée irrecevable.
L’irrecevabilité peut également être soulevée par le Ministère public, le prévenu, le civilement responsable ou une autre partie civile.
Même lorsque toutes les conditions de recevabilité, de forme et de délai sont satisfaites, rien ne garantit le succès de l’action en réparation. Le Tribunal a toute la latitude pour apprécier le bien-fondé de l’action civile.
Ainsi, il peut, pour certaines raisons, déclarer la partie civile mal fondée en son action et la débouter subséquemment de sa demande en paiement de dommages et intérêts. C’est notamment le cas lorsque le prévenu ou l’accusé, déclaré non-coupable des faits mis à sa charge, est relaxé ou acquitté. L’action civile étant une action en réparation du préjudice né d’une infraction, il plus que légitime que la partie civile soit déboutée de sa prétention lorsque le mis en cause a été renvoyé des fins de la poursuite, en raison de ce que les faits ne sont pas constitutifs d’infraction à la loi pénale, ne sont ni constitués ou établis, sont prescrits ou ne sont pas imputables à la personne poursuivie.
Toutefois, dans certaines hypothèses, la personne poursuivie, bien que déclarée non-coupable peut-être condamnée au paiement de dommages et intérêts au profit de la partie civile. C’est notamment le cas en matière d’homicide ou blessures involontaires. En effet, selon l’art. 8 al. 6 du CPP, « Le juge répressif saisi d’une action civile pour homicide ou blessures involontaires peut, en cas de relaxe du prévenu, accorder aux parties civiles, sur leur demande, des dommages-intérêts par application de l’alinéa premier de l’article 1384 du Code civil ».
Il en est de même en cas d’absolution de l’accusé. Dans ce cas, la partie civile, peut demander réparation du dommage résultant de la faute de l’accusé, telle qu’elle résulte des faits qui sont l’objet de l’accusation.
La plainte avec constitution de partie déposée entre les mains du Juge d’instruction ne permet pas directement à la partie lésée d’obtenir réparation du préjudice qu’elle prétend avoir subi du fait d’une infraction. La partie civile doit nécessairement comparaître devant les juridictions de jugement ou se faire représenter devant celles-ci et réitérer sa constitution de partie, laquelle peut éventuellement être déclarée irrecevable, d’office par le Tribunal ou la demande du Ministère public, du prévenu, du civilement responsable ou d’une autre partie civile.
Lorsqu’elle est déclarée recevable, cette constitution de partie civile peut encore être déclarée mal fondée, pour plusieurs raisons de droit.
Au total, il convient de retenir que la plainte avec constitution de partie civile revêt d’indéniables intérêts juridiques. Elle permet, entre autres et dans une certaine mesure, de mettre en mouvement l’action publique et de vaincre l’inertie du Ministère public. Aussi, confère-t-elle d’énormes prérogatives à la partie lésée, qui tout au long de l’information judiciaire, prend une part active dans le déroulement de la procédure, en ce sens qu’elle devient partie intégrante à la phase préparatoire du procès pénal.
Toutefois, ces intérêts juridiques contrastent avec les nombreuses limites attachées à cette voie de droit. Ces limites tendant notamment à l’éventualité pour la partie civile d’encourir des sanctions pénales pour dénonciation calomnieuse ou une condamnation à des dommages et intérêts pour abus de constitution de partie civile, vident la plainte avec constitution de partie civile de son essence, alors surtout que cette action ne permet pas à la partie lésée d’obtenir directement réparation du préjudice allégué.
C'est bien ici que s'achève cet article enrichissant abordant le sujet de l'intérêt de porter plainte et de se constituer partie civile devant le Juge d’instruction.
Vos différentes observations à travers des commentaires nous seront plus que bénéfiques pour l’amélioration de cette humble contribution scientifique, qui nous le savons, recèle nombreuses imperfections.
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