Nul besoin de préciser avec insistance que la question de la légalité de la dot en Côte d’Ivoire, reste encore aujourd'hui, un sujet de discussions. Dans la suite de cet article proposé par M. BAORE Bi Baore Anicet, vous en saurez davantage sur ce qu’il en est réellement de la question au regard des nouvelles réformes législatives de 2019 relatives au mariage.
La nouvelle loi ivoirienne relative au mariage en Côte d’Ivoire a apporté d’importantes innovations en instaurant non seulement une certaine égalité entre époux, mais en résolvant de manière bien déterminée certaines questions qui constituaient jusque-là de véritables imbroglios juridiques. C’est le cas de la dot.
On se souvient encore des termes univoques des dispositions particulières applicables à la dot perçue à l’occasion des mariages célébrés selon la tradition logée dans le chapitre 3 de la loi n°64-381 du 7 octobre 1964 relative aux dispositions diverses applicables aux matières régies par les lois sur le mariage. L’article 21 de cette loi punissait en effet de peines d’emprisonnement et d’amende celui qui a « sollicité ou agréé des offres ou promesses de dot, sollicité ou reçu une dot , usé d’offres ou de promesses de dot ou cédé à des sollicitations tendant au versement d’une dot. ». Le législateur ivoirien interdisait ainsi la dot.
On ne spéculera pas outre mesure sur la notion de dot. L’article 20 de la loi précitée la définit comme étant une institution qui consiste dans le versement au profit de la personne ayant autorité sur la future épouse, par le futur époux ou la personne ayant autorité sur lui, d’avantages conditionnant la réalisation du mariage traditionnel.
En fait, dans la majorité des coutumes ivoiriennes, la dot est perçue comme le mariage lui-même, le mariage civil étant dans ces circonstances une formalité qu’il est libre aux personnes coutumièrement mariées d’accomplir. Si donc la dot est ainsi perçue, l’on comprend difficilement que le législateur du lendemain de l’indépendance ait, à travers deux articles de dispositions transitoires, prohibé et même réprimé sa pratique !
La prohibition de la dot se justifiait-elle par une certaine négation du droit coutumier au profit du droit français jugé plus accompli ? La politique d’assimilation appliquée pendant la colonisation incluait-elle que même indépendante, la Côte d'Ivoire adopte le droit français dans toutes ses dispositions ? La dot constitue-t-elle un acte « immoral » en ce qu’elle a été perçue par le législateur comme une « cession » de la femme, comme le prétendent certaines opinions ?
Une analyse de l’histoire politique de notre pays permettrait d’écarter efficacement toutes ses hypothèses. En fait, la prohibition de la dot relève aussi bien de motifs sociologiques que juridiques.
En effet, à l’occasion du VIe anniversaire de l’indépendance de la Côte d’Ivoire en août 1966, Le Président FELIX HOUPHOUËT-BOIGNY révélait clairement le motif de l’abandon des coutumes dont la dot ,dans ses propos tels que rapportés par le professeur LOUCOU Jean-Noël dans son ouvrage intitulé , « Anthologie des discours 1947-1978 » ,en ces termes : « lorsqu’il nous est apparu que la survivance de certaines traditions constituait un obstacle ou un frein au développement harmonieux de notre pays, nous n’avons pas hésité à imprimer les changements nécessaires.
C'est ainsi qu'après une longue campagne d'explication entreprise par nos militants et nos responsables politiques et administratifs auprès des populations concernées, des textes essentiels ont vu le jour. Un Code civil rénové consacre la suppression de la polygamie et réforme la dot ; un état civil moderne est mis en place. »
Il s’induit que la suppression de la dot s’inscrit résolument dans cette logique. Elle constituait donc pour le législateur de cette époque « un frein au développement harmonieux de notre pays ». Les termes sont bien choisis. Il ne s’agit pas d’un frein au développement économique ou politique de la Côte d’Ivoire, mais bien d’un frein au développement harmonieux. C’est que la Côte d’Ivoire est un pays multiethnique.
Chaque coutume célèbre la dot dans ses diversités et ses spécificités. Inscrire des pratiques coutumières aussi variées dans la loi aurait constitué effectivement un frein au développement harmonieux de la Côte d’Ivoire dans un contexte de construction de l’unité nationale. Comment le législateur de 1964 pouvait créer un régime juridique unique de la dot qui contient toutes les coutumes ivoiriennes ?
Comment légiférer sur la dot alors que sa pratique diffère nettement d’une coutume à une autre ? Il fallait craindre de délaisser, en légiférant sur la dot, certaines pratiques de certains groupes ethniques, étant entendu que la Côte d'Ivoire en compte plus de soixante (60). La tache paraissait risquée et constituait un véritable pensum. À une difficulté sociologique, s’ajoutait donc une difficulté juridique. Le motif de l’interdiction de la dot ne réside donc pas dans le fait qu’elle serait une institution « immorale » qui donnerait l’impression que la femme était « vendue » ! Le législateur de 1964 ne s’est pas érigé en juge de la coutume.
Il a privilégié l’unité nationale et le développement harmonieux de la Côte d’Ivoire que la légalisation des coutumes dont la dot pouvait sérieusement freiner. Mais la tradition a résisté à la modernité. Bien que prohibée, la dot a survécu et s’est posée comme un sérieux préalable au mariage civil.
L’article 23 des dispositions transitoires précitées subissait donc une abrogation par désuétude. Le texte existe dans l’ordonnancement juridique ivoirien, mais reste inappliqué, le juge ne pouvant se saisir proprio motu.
Si les réformes du droit du mariage avaient habilement esquivé la question du maintien ou de la suppression de la dot, la nouvelle loi sur le mariage n’a pas eu peur des mots. L’article 104 de la loi n° 2019-570 du 26 juin 2019 relative au mariage dispose en effet : « la présente loi abroge la loi n° 64-375 du 7 octobre 1964 relative au mariage modifiée par les lois n° 83-800 du 2 août 1983 et n° 2013-33 du 25 janvier 2013 et la loi n° 64-381 du 7 octobre 1964 relatifs aux dispositions diverses applicables aux matières régies par la loi sur le mariage et aux dispositions particulières applicables à la dot. »
Ainsi, d’une abrogation par désuétude, on est passé à une abrogation expresse. Pourtant, l’adoption de cette nouvelle loi suscite certaines interprétations et interrogations.
Si la loi interdisant la dot est abrogée de la manière la plus expresse possible, le législateur ne légalise-t-il pas par la même occasion cette institution coutumière ?
L’abrogation d’une loi contenant une prohibition a-t-elle pour conséquence de légaliser ce qui était prohibé ? Ce que la loi n’interdit pas est-il légal ? La définition de deux termes paraît indispensable pour répondre à ces interrogations.
Le premier terme est la notion d’abrogation usitée par le législateur. L’abrogation est la suppression pour l’avenir des effets d’une loi (au sens large). C’est, autrement, l’annulation pour l’avenir du caractère exécutoire d’une loi. L’abrogation n’a donc pas d’effet rétroactif. Le second terme est la légalisation.
Légaliser, c’est faire entrer dans l’ordonnancement juridique. Ce mécanisme consiste à attacher des effets juridiques à un fait, un acte ou, en l’espèce, à une institution. Légaliser la dot consisterait donc à lui attacher des effets juridiques comme le mariage civil.
La légalisation est donc le fait de la loi et peut être considérée comme son apanage. Lorsque la loi (loi votée par le Parlement ou le règlement) attache des effets juridiques à un fait ou un acte, elle le légalise.
Lorsque la loi attache des effets juridiques à un fait ou un acte, l’implication principale, c’est que la partie qui s’estime lésée peut valablement saisir le juge pour obtenir la reconnaissance, la protection ou la sanction de son droit. Il en est ainsi d’un époux qui peut saisir le juge pour obtenir le paiement par l’autre époux de sa contribution aux charges du ménage ou pour obtenir le divorce.
Légaliser la dot aura donc pour conséquence de permettre aux personnes qui se sont unies par ce mode coutumier, de saisir le juge si elles s’estiment lésées.
Plus spécifiquement, elles pourront par exemple saisir le juge pour obtenir une réduction du montant versé ou même sa restitution, elles pourront dans certains cas saisir le juge pour qu’il prononce la dissolution du mariage coutumier ainsi célébré si la loi le dispose ainsi. La dot pourrait même être érigée en préalable indispensable pour célébrer le mariage civil.
Par ailleurs, il y’a des situations que la loi ignore auxquelles la jurisprudence confère certains effets. Elle procède ainsi à une certaine reconnaissance juridique. Même dans ces situations, la jurisprudence ne crée pas d’effets juridiques.
Elle se sert du fait, de l’acte ou de l’institution « non légalisé » pour reconnaître des droits à des personnes lésées (voir infra pour illustrions).
Dès lors, on pourrait poser le problème en ces termes : la loi attache-t-elle désormais des effets juridiques à la dot ? Le juge peut-il être saisi pour connaître d’un contentieux portant sur la dot ?
Une réponse affirmative serait difficilement concevable. En effet, dans aucune disposition de la nouvelle loi sur le mariage, il ne figure un chapitre, une section, un paragraphe ou même un article qui prévoit des effets à la dot.
Aucun autre texte aussi bien législatif que réglementaire ne prévoit, à notre connaissance, des effets juridiques pour la dot. Dans ces circonstances, on perçoit difficilement le fondement juridique sur lequel le juge pourra se fonder pour trancher un contentieux portant spécifiquement sur la dot.
Quel est donc l’apport de la nouvelle loi sur le mariage ? Quel intérêt d’abroger l’interdiction de la dot si ce n’est pour la légaliser ?
Si l’on s’abstient de limiter les débats à la légalisation ou non de la dot, on percevra aisément les apports de la nouvelle loi.
D'abord, le législateur ivoirien opère un choix à travers les dispositions de l’article 104 de la nouvelle loi sur le mariage. En effet, dans la période qui précède le mariage civil, les époux posent certains actes en application des exigences coutumières. Parmi ces actes, figurent entre autres ce qu’il est trivialement nommé dans certaines coutumes le « kôkôkô » ainsi que la dot. Le législateur avait donc estimé que, parmi ces actes, la dot devait être interdite.
La loi tolérait donc toutes les autres pratiques coutumières qui pouvaient intervenir notamment avant le mariage civil. Désormais, parmi ces pratiques tolérées, figure la dot. Pour le législateur de 2019, contrairement à celui de 1964, la dot ne constitue donc plus « un frein au développement harmonieux » ni une atteinte à l’ordre public encore moins une « menace » pour le mariage civil.
Ensuite, la levée de l’interdiction de la dot comme sus indiquée n’emporte aucunement sa légalisation. En effet, si ce n’est pour préciser que les dispositions transitoires sont abrogées, la loi sur le mariage se garde d’emprunter le vocable « dot ».
En réalité, au-delà de tolérer la dot et, en lieu et place de son interdiction, le législateur ivoirien l’a ignorée. Il n’y pas lieu de s’offusquer. Napoléon avait prévenu : « les concubins ignorent la loi, la loi ignore les concubins ». Le législateur entend insérer ainsi dans l’esprit de la loi, cette célèbre phrase de l’empereur qui a inspiré au demeurant les rédacteurs du Code civil français.
Enfin, il est opportun de relever que si la dot n’est pas légalisée en Côte d’Ivoire, il n’en demeure pas moins qu’elle fait l’objet d’une certaine reconnaissance juridique ainsi qu'il a été relevé dans les développements précédents. Il s’est, en effet, construit en droit commercial une jurisprudence bien assise qui reconnaît l’existence de société créée de fait entre les concubins en cas de rupture.
Lorsque l’un des concubins décide en effet de rompre le lien affectif, les juges, pour permettre un partage relativement équitable des biens acquis pendant le concubinage, estiment qu’il s’est créé une société de fait entre les concubins. La jurisprudence estime donc que les concubins se sont comportés comme des associés sans avoir eu l’intention de créer une société commerciale.
Cette reconnaissance établie, les juges procèdent à une liquidation de la société créée de fait pour mésintelligence et ordonne le partage du boni de liquidation. Mais pour que ce raisonnement soit appliqué, il faut que les juges reconnaissent la qualité de concubin et par conséquent qu’une certaine stabilité affective et temporelle ait existé. Cette qualité peut valablement ressortir du fait que ces concubins ont effectué la dot.
Mais il est important de préciser que le raisonnement précité est établi dans le but de réparer une injustice qui naîtrait du fait que l’un des concubins(en général l’épouse) ne puisse bénéficier de biens après la rupture du lien affectif alors même que le concubinage se serait maintenu sur une longue durée. L’intérêt de cette jurisprudence n’est donc pas de légitimer la dot encore moins de la légaliser.
Par ailleurs, dans les dispositions transitoires de la loi relative au mariage de 1964 précités, le législateur avait légalisé la dot. Mais il s’agissait clairement des dots célébrées avant l’entrée en vigueur de la loi de 1964 sur le mariage.
L’article 10 indiquait sans équivoque que « Les mariages contractés conformément à la tradition, antérieurement à la date d’entrée en vigueur de la loi nouvelle, régulièrement déclarés à l’état civil ou constatés par jugements transcrits sur les registres de l’état civil auront, sous les réserves ci-après, les mêmes effets que s’ils avaient été contractés sous l’empire de ladite loi. ».
On se gardera donc de soutenir que la jurisprudence a légalisé la dot. Elle lui confère, il est vrai, une certaine reconnaissance juridique quand il s’agit de rétablir certaines injustices étant entendu que seule la loi peut la légaliser.
La dot sort donc désormais de la liste noire des infractions pénales. Elle « entre dans la vie active », mais ne saurait avoir plus de droits que cela. La loi ne la reconnaît pas et n’a pu la légaliser à l’occasion de la dernière réforme, mais la loi ne l’interdit plus. Elle peut être aisément pratiquée par tous sans que la loi n’intervienne. Au demeurant, la loi a toujours ignoré les concubins et les actes qu’ils posent.
La dot n’a donc d’effets que ceux prévus par la coutume. Il semble même désormais que le législateur ne souhaite plus employer ce mot dans le corpus des lois de peur certainement que des adeptes de cette institution coutumière n’omettent qu’en Côte d’Ivoire,seul le mariage civil déploie des effets juridiques et par conséquent est « légal » et « légalisé ».
Cet article portant sur la question de la légalisation de la dot en Côte d’Ivoire est de M. BAORE BI Baore Anicet, Auditeur de Justice.
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15 commentaires
Je souhaiterais savoir combien de jours peut bénéficier une personne qui souhaite faire sa dot ?
Pour le mariage civil c'est 4 jours ouvrables dans le code du travail
"dans aucune disposition de la nouvelle loi sur le mariage, il ne figure un chapitre, une section, un paragraphe ou même un article qui prévoit des effets à la dot.
Aucun autre texte aussi bien législatif que réglementaire ne prévoit, à notre connaissance, des effets juridiques pour la dot. "