Cours de droit foncier du professeur Gago Shélom Niho, enseignant de Droit à l'université Félix Houphouet Boigny de Cocody/Abidjan. Ce cours n'est qu'une introduction générale de cette matière (Droit foncier). L'intégralité de cette matière (Partie I et Partie II), vous sera proposée sous la forme d'un résumé détaillé.
Cours de droit foncier (Licence 3)
INTRODUCTION
En Côte d’Ivoire, la terre est au centre d’une problématique aux enjeux multiples dont la complexité et le caractère récurrent font penser à un nœud gordien.
Ainsi, il ne se passe pas un seul jour sans que les instances de régulation que sont les autorités coutumières administratives et judiciaires ne soient saisies de conflits fonciers opposant différents acteurs dont les intérêts, les stratégies et les logiques d’occupation ou d’appropriation sont divergentes, voire antagoniques.
Multiformes de par la diversité des protagonistes (autochtones, allochtones, allogènes, administration forestière ou foncière, agriculteurs, éleveurs, villages limitrophes, etc.), et des secteurs concernés (foncier urbain, foncier agricole, foncier forestier, foncier pastoral, etc.), ces conflits qui sont quelques fois violents et meurtriers constituent aujourd’hui, au-delà de l’insécurité foncière qu’ils traduisent, une menace pour la paix et la cohésion sociale.
À l’analyse, cette situation est la résultante de plusieurs facteurs socio-culturels, économiques, politiques et juridiques.
-- Au plan socio-culturel, la terre dans la société africaine n’est pas seulement le support de la production et de la reproduction, mais aussi le point de rencontre du visible et de l’invisible.
En réalité, ce n’est pas la terre qui appartient à l’homme, mais c’est l’homme qui appartient à la terre. Le même constat avait fait dire à A.ROBERT que la terre en Afrique noire, n’appartient à personne parce qu’elle s’appartient à elle-même.
Mieux, la terre est considérée comme une déesse à qui l’homme doit respect et soumission. Ce contexte socio-cosmogonique, dont les valeurs sont aux antipodes de celles véhiculées par la civilisation occidentale, confère à la propriété des traits particuliers. Ceux-ci se rapportent essentiellement au caractère collectif, inaliénable et imprescriptible de la propriété foncière coutumière.
Ces valeurs, qui caractérisent la gestion coutumière des terres, sont aux antipodes de celles introduites par la réglementation foncière étatique. Ainsi, avec l’avènement de la colonisation et ensuite de l’Etat ivoirien, la propriété foncière coutumière va connaître des mutations plus ou moins profondes caractérisées d’une part, par la minoration ou marginalisation de la propriété foncière coutumière, d’autre part par la diffusion de la propriété individuelle ou privée.
-- Au plan économique, l’Administration coloniale française avait pour des motifs d’ordre économique privilégié la mise en valeur des terres aux dépens des tenures foncières coutumières.
KOUASSIGAN disait à ce sujet que « la colonisation qui pour se justifier devant l’histoire se présentait comme une initiative historique de culture des hommes en vue de leur revalorisation était aussi et surtout culture des terres en vue de leur rentabilité ».
Dès l’accession de la Côte d’Ivoire à l’indépendance (7 août 1960), l’Etat ivoirien emboîté le pas au colonisateur pour les mêmes motifs économiques et précisément dans le but de se procurer les devises nécessaires au développement du pays. Le président Houphouët-Boigny disait à ce propos que « la Côte d’Ivoire n’a pas de terres à repartir, mais à mettre en valeur ».
Il ne sert à rien, ajoutait-il, de repartir la pauvreté. Mieux, pour accroître la production agricole, il indiquera dans une déclaration devenue célèbre que « la terre appartient à celui qui la met en valeur ».
Cette option, qui visait à orienter le droit foncier vers le développement, s’est traduite au plan agricole, par la création en zone forestière de grandes plantations de cultures pérennes (café, cacao, hévéa, palmier à huile, etc.).
Considérée comme le soubassement de l’économie nationale, l’agriculture a contribué en 1998 à hauteur de 26 % à la formation du produit intérieur brut (PIB) contre 36 % en 1987 et 33 % en 1980 ; elle fournit 2/3 environ des recettes d’exportation et occupe les 2/3 de la population active.
En milieu urbain, les enjeux sont les mêmes pour l’Etat, et les populations : l’urbanisation galopante et la prolifération des habitats précaires constituent de sérieuses préoccupations pour l’Etat qui a dû à plusieurs reprises, dans un contexte de marché informel et inorganisé du foncier, réglementer et renforcer l’accès au foncier urbain.
Si la politique de développement mise en place par l’Etat ivoirien a pu générer des devises et contribuer dans les deux premières décennies suivant l’indépendance, à une réelle croissance économique (taux de 6 à 7 % en moyenne), à telle enseigne qu’on a pu parler de « miracle ivoirien », elle a en revanche favorisé une exploitation abusive et anarchique des terres.
L’abus se traduit par une utilisation non durable des ressources foncières à travers notamment, un système cultural inadapté caractérisé par un recours marginal aux intrants et par la prédominance de l’agriculture itinérante sur brûlis.
Quant à l’anarchie, elle est à la fois la cause et la conséquence du non-respect de la réglementation en vigueur.
Il en résulte un appauvrissement des sols et corrélativement une prolifération de jachères improductives.
Pour remédier à cette situation qui entraîne une baisse de productivité agricole, les paysans ont eu recours à la colonisation de nouveaux espaces de culture.
Ainsi, près de 200 000 ha de forêts ont été défrichés par an jusqu’à la fin des années quatre-vingt (80). De 16 millions d’hectares au début du siècle dernier, la forêt dense humide ivoirienne est passée à 12 millions d’hectares à l’indépendance (1960) et à environ 3,7 millions d’hectares en 1999.
Cette disparition progressive des ressources forestières entraîne au plan national, non seulement des perturbations de l’écosystème et de la biodiversité, mais aussi, elle a un impact négatif sur le bilan de production agricole.
-- Au plan socio-politique la problématique foncière met en exergue les rapports de force entre les différents acteurs qui interviennent dans l’exploitation des ressources terres. Ces acteurs ont pour nom l’Etat et ses structures sous tutelle, les Collectivités territoriales, les agriculteurs, les éleveurs, les pêcheurs, les exploitants forestiers et miniers et de façon générale, les populations rurales et urbaines.
Ces acteurs opèrent selon les logiques et stratégies variables qui sont le reflet de leurs intérêts actuels ou futurs.
Mais, de plus en plus, du fait de la croissance démographique, l’expression plurielle et anarchique des besoins en terre suscite des différends entre acteurs.
En effet, avec six (6) millions d’habitants en 1975, la population ivoirienne est passée à 10 millions en 1988, à quinze (15) millions en 1998 et à plus de 22 million de nos jours.
Cette forte croissance démographique est consécutive à un taux de natalité élevé et à une forte immigration de populations venant des pays limitrophes (Burkina Faso, Mali, Liberia, Guinée, etc.).
De 1955 à 1990, la population rurale par exemple, a été multipliée par quatre ; d’où une forte pression sur les terres, et de façon générale sur l’ensemble des ressources naturelles (ressources forestières, pastorales, halieutiques, minières, etc.).
Cette forte pression foncière est surtout perceptible en milieu urbain, mais aussi en milieu rural dans le sud forestier, zone agro-économique propice aux cultures d’exportation, les plus rentables (cacao, café, palmier à huile, etc.). Elle est à l’origine d’une « marchandisation » croissante du fond de terre (cacao, café, palmier à huile, etc.).
Cette « marchandisation » qui s’opère en marge des tenures coutumières et en violation de la réglementation foncière à aboutir dans certaines régions de la mainmise des non-autochtones sur une importante partie du patrimoine foncier local. On estime par exemple, que près de 80 % des terres mises en valeur dans le sud-ouest le sont par des non-autochtones.
Il en résulte pour les autochtones des régions concernées, de réelles contraintes foncières dont les premières victimes sont les jeunes et les femmes.
Aussi, de plus en plus, les autochtones revendiquent la propriété des terres cédées en se fondant sur le droit coutumier quand les allogènes de leur côté, excipent des prérogatives liées à la mise en valeur.
Il s’ensuit périodiquement des conflits fonciers plus ou moins violents dont la fréquence et la gravité constituent aujourd’hui une menace pour l’ordre public et la cohésion sociale.
Entre nationaux, la question foncière constitue l’une des toiles de fond de conflits politico-ethniques quelques fois meurtriers opposant les autochtones des terres colonisées aux paysans originaires d’autres régions du pays.
Dans la sous-région ouest africaine, cette question constitue une pierre d’achoppement entre les autorités ivoiriennes et les pays limitrophes dont sont originaires, les paysans allochtones concernés.
Il résulte de ce qui précède que les ressources foncières sont au centre d’enjeux énormes et multiformes. Qu’il s’agisse du milieu rural ou du milieu urbain, la terre est un bien immeuble d’une importance vitale aussi bien pour les populations que pour les pouvoirs publics.
Elle est l’objet d’une quête permanente et effrénée que l’Etat, après l’administration coloniale a jugé nécessaire de réglementer en vue de préserver la paix et la cohésion sociale : c’est la dimension juridique de la problématique foncière.
-- Au plan juridique, il convient de souligner que l’Administration coloniale a eu recours à plusieurs approches normatives pour avoir une mainmise sur les terres de la colonie ivoirienne.
Il s’agissait de tirer profit des immenses ressources foncières de la colonie, ressources qui comme l’a écrit Albert Sarrault, devrait être livrées à la circulation mondiale.
Dans cette optique, l’Administration coloniale avait d’abord eu recours au système de propriété du Code civil. Mais cette expérience qui avait été introduite à travers l’arrêté Binger du 10 septembre 1893 a été un échec. Non seulement, ce système ne permettait pas de sécuriser la propriété foncière, mais aussi, il se heurtait aux tenures foncières coutumières.
En effet, le Code civil prévoit deux modes de transfert de la propriété qui sont d’une part, le juste titre juridique, d’autre part, la prescription acquisitive trentenaire ou décennale.
Dans un contexte socio-culturel basé sur l’oralité, le recours à un juste titre juridique était voué à l’échec.
De même, la prescription acquisitive apparaissait d’application difficile, car au regard du droit coutumier, le temps ne peut créer ou éteindre un droit.
Ayant fait le constat des difficultés d’application du système de propriété foncière du Code civil, l’Administration coloniale a eu recours successivement à la théorie du domaine éminent de l’Etat et ensuite à la théorie des terres vacantes et sans maître.
Suivant la théorie du domaine éminent, l’Etat colonial était en droit de succéder, du fait de la conquête ou de l’annexion, aux droits de souveraineté et de domanialité, exercés antérieurement par les chefs locaux.
Quant à la théorie des terres vacantes et sans maître, elle résultait des termes de l’article premier du décret du 15 novembre 1935 portant réglementation des terres domaniales en Afrique occidentale française.
Ce texte qui est en fait une reprise des dispositions du code civil, disposait que les terres vacantes et sans maître appartiennent à l’Etat.
Il en était de même des terres non mises en valeur depuis plus de 10 ans. Il s’en est suivi une marginalisation ou minoration des tenures foncières coutumières.
Au-delà de la volonté de maîtrise foncière, il s’agissait également pour l’Administration coloniale d’organiser la diffusion de la propriété privée. Moyen de subsistance, la terre deviendra un instrument de crédit, de production et d’accumulation de capital. Elle passera alors de la catégorie de res extra commercium à celle de res in commercio perdant ainsi sa signification ontologique.
Ce qui a pour conséquence, face à la désintégration progressive de la famille traditionnelle, le fractionnement des domaines collectifs et corrélativement la constitution de patrimoines individuels.
C’est dans ce contexte mercantile que Arthur Verdier et Dumas se verront respectivement attribuer 5,5 millions et 11 millions d’hectares avant de se contenter de superficies plus petites (270 000 ha pour Verdier).
système de concession des terres a été sans cesse dénoncé par les autochtones. Tout à tout, la théorie du domaine éminent de l’Etat et la théorie des terres vacantes et sans maître seront combattues par les leaders locaux.
Ainsi, le conseiller Mockey J. B avait au cours de l’Assemblée territoriale du 27 novembre 1948 fustige le caractère spoliateur du décret du 15 novembre 1935 qui attribuait les terres vacantes et sans maître à l’Etat et par la suite aux grandes compagnies capables de les mettre en valeur.
Face aux revendications des autochtones et dans le but d’amener les populations à recourir aux procédures domaniales et foncières en vigueur, l’Etat colonial a, à certaines périodes, pris des dispositions pour assurer le respect des tenures coutumières.
Plusieurs méthodes ont été ainsi utilisées pour identifier et constater ces droits coutumiers en vue de favoriser leur évolution vers la propriété foncière individuelle.
Successivement des tentatives seront faites soit pour les transformer à terme en concessions domaniales, soit pour consacrer les conventions coutumières, soit enfin pour les constater par la délivrance d’un certificat administratif.
II en est ainsi de l’institution du livret foncier Coutumier de 1925 et surtout de l’adoption du décret n° 55-580 du 20 mai 1955 ponant réorganisation foncière et domaniale en A.O.F et en A.E.F.
Avec ce décret, l’Etat colonial n’était plus propriétaire que des terres acquises conformément aux dispositions du Code civil ou de la procédure d’immatriculation.
De même, les particuliers pouvaient, après la mise en valeur de leur terre, en demander l’immatriculation à leur nom. Enfin, les dispositions du décret du 15 novembre 1935 sur les terres vacantes et sans maître avaient été abrogées, entraînant ainsi une renonciation de l’Etat aux dites terres.
Mais le décret n° 55-580 du 20 mai 1955 n’a pas connu d’application en raison de l’accession de la Côte d’Ivoire à l’autonomie interne et plus tard à l’indépendance (7 août 1960).
En somme, toutes les difficultés d’application en matière foncière, des dispositions du Code civil ou des théories susindiquées (domaine éminent de l’Etat, terres vacantes et sans maître), ont amené l’Administration coloniale à privilégier le système de l’immatriculation foncière, système régi par le décret du 26 juillet 1932 portant réorganisation du régime de la propriété foncière en Afrique Occidentale Française (A.O.F).
Avec ce système qui constitue jusqu’aujourd’hui le fondement de la propriété foncière en Côte d’Ivoire, des enquêtes foncières sont réalisées dans un délai raisonnable, avec toutes les garanties de publicité nécessaires, afin de consolider la propriété du sol.
Cette solution permet rapidement aux investisseurs de connaître la situation juridique du bien foncier qu’ils veulent acquérir ou exploiter.
La Côte d'Ivoire indépendante a hérité de la réglementation foncière coloniale conformément aux principes généraux du droit international public relatif à la succession d’Etat.
Et dès l’accession de la Côte d’Ivoire à l’indépendance l’Etat ivoirien, va vite manifester, essentiellement pour les mêmes motifs d’ordre économique, sa volonté d’avoir une mainmise sur les terres n’ayant pas déjà été appropriées, emboîtant ainsi le pas à l’Etat colonial. En fait, l’Etat considérait que ses revendications foncières étaient censées être, par elles-mêmes ou par la fonction de service public exercée, supérieures à celles des personnes privées, notamment des propriétaires coutumiers.
Dès lors, la reconnaissance des tenures coutumières en ce qu’elle implique une indemnisation des personnes dépossédées, aurait constitué un obstacle à sa politique de développement agricole.
C’est pourquoi l’Etat s’était employé à marginaliser les tenures coutumières, mais aussi, il s’était réservé de façon exclusive, pour des raisons évidentes de maîtrise foncière, le privilège de gérer les terres.
Cette volonté de maîtrise foncière va amener l’Etat à distiller la propriété foncière aux compte-gouttes et à fermer pendant longtemps les yeux sur l’ineffectivité de la procédure d’immatriculation.
Pour justifier au plan juridique ses prétentions foncières, l’Etat ivoirien a, au lendemain de l’indépendance, conçu la loi non promulguée portant Code domanial et foncier du 20 mars 1963. Cette loi reposait sur le principe de l’affirmation des droits de l’Etat sur les terres non immatriculées ; c’est-à-dire pratiquement sur l’ensemble des terres coutumières.
Par exception à ce principe, les terres déjà mises en valeur par les personnes physiques et morales n’étaient pas concernées.
Ayant compris les effets de la mise en valeur en matière d’accès à la terre et de peur d’être dépossédés de ce qu’elles considéraient comme leur patrimoine foncier, les populations locales avaient alors procédé à des mises en valeur superficielles.
Pour aller, plus vite, certains avaient mis le feu à la brousse, embrasant ainsi la moitié de la Côte d’Ivoire.
Cette situation, qui était également accentuée par la levée de boucliers des autorités foncières coutumières, avait alors amené le chef de l’Etat à surseoir à la promulgation de la loi du 20 mars 1963, bien que celle-ci fût adoptée par l’Assemblée nationale à une écrasante majorité.
Après l’échec de la loi incendiaire du 20 mars 1963, l’Etat ivoirien a eu recours à diverses pratiques administratives (décrets, arrêtés, circulaires, etc.) pour asseoir et concrétiser sa maîtrise foncière, en méconnaissance de la défunte constitution de 1960 qui indiquait que c’est au législateur qu’il appartient de déterminer les principes fondamentaux du régime de propriété et des droits réels.
Il reprendra ainsi à son compte les dispositions foncières coloniales qui lui étaient favorables, rejetant par la même occasion celles qui constituaient des contraintes juridiques à sa politique de développement agricole.
Par exemple, les dispositions du décret du 20 mai 1955 qui réalisaient la renonciation de l’Etat aux terres vacantes et sans maître seront écartées.
Par contre, les dispositions qui indiquaient que les terres devaient d’abord être immatriculées au nom de l’Etat avant toute rétrocession aux tiers, ont été maintenues.
Faute de promulgation du code domanial et foncier du 20 mars 1963, la résurgence de la théorie des terres vacantes et sans maître à travers le décret du 15 novembre 1935 va permettre alors à l’Etat, d’avoir la mainmise sur les terres non immatriculées.
Or, suivant le droit coutumier, l’absence de mise en valeur d’une terre n’implique pas qu’elle soit sans maître.
Comme l’a écrit Elias Olawale, « affirmer que la brousse africaine n’appartient à personne est contraire à toute la tradition. Le coin le plus reculé de la brousse est sous la juridiction d’un chef quelconque ».
Se situant dans la logique de l’appropriation des terres non immatriculées, l’Etat va prendre le décret n° 71-74 du 16 février 1971.
Ce décret, qui dissimule mal une forme foncière, soumet obligatoirement toute convention ou opération relative à des droits mobiliers à une procédure domaniale et foncière.
Il réalise par ailleurs la minoration des droits coutumiers an indiquant dans son article 2 que les droits portant sur l’usage du sol « dits droits coutumiers, sont personnels à ceux qui les exercent et ne peuvent être cédés à quelques titres que ce soit ».
Cette disposition vient ainsi conforter l’interdiction en matière foncière des actes sous seing privés édictée par le décret n° 64-164 du 16 avril 1964.
Il résulte de ce qui précède que l’Etat s’est efforcé de trouver un fondement légal à sa mainmise sur les terres non immatriculées, mais ce fondement a été contesté par la doctrine qui le trouve illégitime.
Pour celle-ci, l’appropriation par l’Etat des terres régies par le droit coutumier ne saurait se justifier en principe que par l’immatriculation à son nom des dites terres.
Or, en pratique, l’Etat a eu très peu recours à cette procédure.
L’approbation par l’Etat des terres non immatriculée, d’une part, et l’imposition du primat de la mise en valeur, en lieu et place de l’antériorité de l’occupation, d'autre part, n’ont pas rencontré l’adhésion des populations autochtones et en particulier des propriétaires fonciers coutumiers.
En fait, si ces populations ont toléré l’approbation par l’Etat desdites terres, elles ont en revanche rejeté et combattu le primat de la mise en valeur.
Cette situation qui est le reflet de l’antagonisme entre l’ordre juridique coutumier, d’une part, et l’ordre juridique étatique, d’autre part a cependant évolué.
En effet, au fur et à mesure que la terre perdait son caractère sacré pour devenir un bien susceptible d’appropriation privée, un droit hybride fruit de la cohabitation entre les deux ordres juridiques a pris naissance.
Né de la pratique, ce droit est la résultante d’arbitrages et de compromis entre les intérêts conflictuels en présence. Dans la recherche de ces compromis, les acteurs (populations, complexes agro-industriels, Etat, Collectivités territoriales, etc.) ont recours indifféremment aussi bien à l’ordre juridique coutumier qu’à l’ordre juridique étatique.
Le droit né de la pratique a pour avantage sa souplesse et sa capacité à se plier aux exigences des acteurs.
Cependant, parce qu’il n’emprunte pas les formes et procédures requises par les textes en vigueur, ce droit offre peu de garantie en matière de sécurisation foncière.
D’où la fréquence des conflits fonciers.
En outre, face à la grogne incessante des autorités foncières coutumières et la persistance des conflits fonciers, l’Etat va changer le fusil d’épaule en reconnaissant de jure les droits fonciers coutumiers à travers la réforme foncière du 23 décembre 1908 relative au domaine foncier rural.
Mais cette reconnaissance n’élude pas la procédure d’immatriculation foncière.
Celle-ci demeure toujours le fondement de la propriété foncière en Côte d’Ivoire, même si en pratique, elle reste largement inappliquée.
Les conséquences de l’ineffectivité du système de l’immatriculation sont multiples. Il s’agit d’abord de l’insécurité foncière.
Cette insécurité qui s’observe aussi bien en milieu urbain qu’en milieu rural constitue aujourd’hui une entrave aux transactions foncières, au crédit et aux investissements. Il s’agit ensuite de multiplication des conflits fonciers ; toute chose qui a amené A. Dumont à dire que « qui acquiert une terre, achète un procès ou une guerre ».
C’est pour remédier à cette situation préoccupante que d’aucuns considèrent comme une bombe à retardement, que l’Etat n’a de cesse de réglementer le foncier en vue de préserver la paix et la cohésion sociale, paramètres essentiels à un développement durable.
Certes, conformément, à la constitution, l’Etat garantit l’accès de tous à la terre ; mais la nature des droits fonciers octroyés ou cédés varient suivant les acteurs concernés.
Qui a droit à la propriété foncière ?
Quels sont les droits des exploitants de la ressource foncière ?
Qui est gestionnaire des terres ?
Il s’agit là d’autant d’interrogations auxquelles l’étude du droit foncier tentera d’apporter des réponses.
Vu sous cet angle, le droit foncier peut se définir comme « l’ensemble des dispositions réglementaires relatives à l’accès à la terre et à sa gestion ».
Partant de cette définition sélective, la présente étude portera d’une part, sur la gestion des terres (Première partie), d’autre part sur les modalités d’accès à celles-ci (Deuxième partie).
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