(La rédaction de ce cours se fonde, principalement, sur les écrits de "jacques VOULET : l’interprétation des arrêts de la Cour de cassation ; JCP. 1970.I - 2305”).
Le commentaire d’arrêt
Le commentaire d’arrêt se définit comme étant un jugement de valeur porté sur une décision rendue par une juridiction.Quelle est la méthode du commentaire d’arrêt ? Comment détermine-t-on son introduction et comment se fait sa rédaction ?
I- La méthode du commentaire d’arrêt
L'étude de la jurisprudence représente une part importante du travail du juriste et plus particulièrement du civiliste, qui doit étudier et éventuellement critiquer les décisions de justice.En effet, les plus intéressantes de ces décisions sont publiées dans des recueils de jurisprudence et sont souvent suivies de “notes” rédigées par des théoriciens ou des praticiens appelés les "arrêtistes”. Ces notes constituent des commentaires d’arrêt et c’est à des exercices de ce genre que l’étudiant se trouve convié.
C’est un travail à la fois très formateur et très délicat. Il diffère de celui de "l’arrêtiste" en ce que ce dernier commente et critique des décisions très récentes et ignore les incidences qu’elles auront dans l’avenir. Alors que l’étudiant commentera en général des arrêts déjà anciens et devra indiquer quelle a été leur portée.
Il est donc difficile, assez difficile de définir une méthode de commentaire d’arrêt, car celui-ci variera selon chaque décision.
Le commentaire d’arrêt porte sur une décision de justice qui peut être un jugement ou un arrêt.
- Avant tout, il faut lire attentivement la décision à commenter pour comprendre son sens ;
- Ne pas paniquer face au langage technique que caractérise ce genre de texte ;
- Distinguer les intérêts en jeu afin de déterminer ce que veut chacune des parties en litige tranché par le juge.
II- La fiche d’arrêt ou la marche vers l’élaboration de l’introduction du commentaire d’arrêt
La fiche d‘arrêt a pour objet de formuler, en termes juridiques, le problème posé à la juridiction qui a rendu la décision et la solution qui y est apportée.Les fiches d’arrêts comprennent :
1- Les faits
On y expose seulement les événements rapportés par la décision et indispensables à la compréhension de la situation. Il faut, en premier lieu, faire un historique des faits de la cause.
Ils figurent en général au début de la décision dans les premiers "attendus que"... ou "considérant que"... Mais il peut se faire que certains faits soient exposés ailleurs.
Aussi, la décision doit-elle être lue et relue avec la plus grande attention. Lorsque la situation est complexe, il est bon de prendre des notes, et même de dresser un tableau chronologique des faits (dans la phase préparatoire du travail).
2- La procédure suivie jusqu’à la décision étudiée (exposée très rapidement)
Il faut ensuite dégager le déroulement de la procédure jusqu’à la décision à commenter, en indiquant quelles sont les juridictions saisies successivement, leur décision et leur motivation, les voies de recours utilisées et s’il s’agit d’un arrêt de la Cour de cassation, les moyens du pourvoi dans la mesure où ils sont exposés dans la décision.
Ces éléments se trouvent en général dans les attendus au début ou à la fin de l’arrêt, mais il faut parfois les compléter en déduisant certains éléments inconnus d’autres qui sont connus.
Ainsi, si la décision mentionne un arrêt d’appel sans donner d’indication sur le jugement de première instance, mais en précisant le caractère infirmant ou confirmatif de l’arrêt de la cour d’appel, cette indication permettra de déduire la solution donnée en première instance. Ces diverses indications doivent permettre de passer à une 3 étape qui consiste à poser :
3- Le problème juridique
Il doit être déterminé et être énoncé d’une façon aussi claire et précise que possible, la question de droit qui se pose.
4- La solution donnée par la juridiction et les motifs sur lesquels elle est fondée
Enfin, il faut indiquer sommairement quelle est la solution apportée par la décision et les motifs sur lesquels elle se base. Ce n’est qu’ensuite que l’on Peut passer à la phase de discussion qui va constituer l’essentiel du devoir.
5- L’application de la décision
Par rapport à la loi, par rapport à la jurisprudence. L’appréciation revient à préciser que toute cette analyse doit être aussi concise que possible, car elle ne constituera que l’introduction du devoir.
Le corps du sujet étant constitué par la discussion qui sera traitée suivant un plan annoncé à la fin de l’introduction. Ainsi, l’introduction du commentaire d’arrêt doit suivre les étapes de raisonnement suivantes :
1. S’il s’agit de l’introduction du commentaire d’un seul arrêt
- Indiquer la nature de la décision juridictionnelle en usant de la terminologie juridique appropriée (jugement, arrêt (appel, cassation), décision du Conseil constitutionnel) ;
- Indiquer la place ou l’importance du thème général de l’arrêt ;
- Rappeler ou reconstituer les faits et la procédure suivie ;
- Poser le problème juridique soulevé par l’affaire (la question à laquelle le juge devait répondre) ;
- Envisager la ou les solutions sous forme de plan (le commentaire portera sur la décision du juge).
2. S’il s’agit de l’introduction d’un commentaire conjoint d’Arrêts
1- La situation (on situe les deux Arrêts cumulativement).
Exemple : le texte soumis à notre analyse est composé de deux arrêts de la cour suprême d’Abidjan. Le 1er a été rendu le.......... par la chambre civile et le second a été rendu trois mois plus tard, le........ par la même chambre civile.
2- Donner simultanément les faits des deux Arrêts.
Exemple : des faits du premier arrêt, il ressort que :«.............................». Dans le second arrêt, il est reproché à «............................».
3- Procédure : donner successivement, comme cela a été fait au niveau des faits, la procédure des deux Arrêts ;
4- Le problème de droit est unique aux deux Arrêts ;
5- Donner successivement les deux solutions des deux Arrêts ;
6- Annoncer un plan conjoint aux deux Arrêts.
III- Le corps du commentaire d’arrêt : La discussion
Selon Jacques VOULET, "le commentaire d’un arrêt n’est rien d’autre que la discussion de son sens et de sa portée. Aussi, une décision a-t-elle été analysée et le problème juridique posé, on va pouvoir réellement “commenter” la décision, c’est-à-dire la discuter.Le plan à suivre est très variable, il sera toutefois en général en 2 ou 3 parties. Il faut éviter soigneusement le procédé qui consiste à faire autant de parties qu’il y a d’attendus, par contre si la décision pose plusieurs problèmes juridiques, on pourra les traiter successivement en autant de parties.
Quel que soit le plan adopté, il faut garder présent à l’esprit quelques principes directeurs : le commentaire d’un arrêt doit essentiellement en préciser : le sens, la valeur et la portée, mais ces trois notions ne doivent pas constituer le plan.
1- Le sens
Il conviendra de replacer la décision dans son cadre, c’est-à-dire d’examiner si elle est conforme aux textes d’abord, mais aussi à l’ensemble de la jurisprudence antérieure à la doctrine.
Cette première étude permettra de déterminer s’il s’agit d’une décision novatrice ou au contraire conforme aux solutions acquises, si elle constitue une étape de l’évolution jurisprudentielle, un revirement de jurisprudence, ou s‘il s’agit d’une décision isolée.
2- La valeur
C’est là que s’instaure réellement la discussion à partir des éléments connus qui viennent d’être dégagés. Chaque motif doit être étudié et critiqué. Une appréciation juridiquement motivée doit être donnée sur chaque argument, les lacunes éventuelles doivent être soulignées.
Toutefois, cette partie du travail, qui, est certainement la plus délicate, doit être menée avec prudence et mesure et surtout très solidement étayée.
3- La portée
Enfin, il faut tenter de déterminer l’influence qu’aura cette décision en ce qui concerne le problème posé.
Mais cette partie du travail, très intéressante pour "l’arrêtiste” qui commente une décision toute récente, qui lui permet de tenter de prédire le sort réservé à la solution qu’elle apporte, est plus restreinte pour l’étudiant qui commente une décision déjà ancienne et dont l’influence est connue.
Toutefois, selon que cette décision exprime un revirement de jurisprudence ou au contraire, une étape dans une évolution, ou encore n’est qu’une décision isolée qui n’a pas de suite, il sera parfois intéressant d’indiquer quelles ont été ses incidences.
Il sera même parfois possible, en guise de conclusion, d’indiquer l’influence de la décision non plus dans le domaine précis où elle a été prise, mais sur la solution de problèmes connexes ou même dans les domaines voisins.
En conclusion, on notera que bien que le devoir ne sera pas, en réalité, divisé en deux parties : analyse et discussion, l’analyse constituera l’entrée en matière ou l’introduction, c’est-à-dire environ une bonne page.
La discussion constituera le devoir proprement dit, c’est-à-dire la plus importante de la copie et c’est là que l’étudiant devra choisir un plan qu’il n’oubliera pas d‘indiquer à la fin de son introduction.
Le devoir ne doit pas non plus être divisé en trois parties : sens, valeur, portée. Ces éléments, une fois dégagés, doivent, seulement servir à étoffer le devoir. Le plan à adopter peut varier selon qu’il y a un ou plusieurs problèmes juridiques à étudier :
- S’il y a deux ou plusieurs problèmes à résoudre, les distinguer nettement en deux ou plusieurs parties : dans le cas d’un arrêt de la cour suprême ou de la Cour de cassation les moyens du pourvoi ou les branches d’un moyen sont de bons indicatifs.
Car ils tendent généralement à démontrer que telle règle de droit n’a pas été observée ou a été mal appliquée dans le cas d’un arrêt de la cour suprême ou de la Cour de cassation les moyens du pourvoi ou les branches d’un moyen sont de bons indicatifs. Il sera donc possible de reprendre ces distinctions du moins lorsque les arguments présentés sont de nature différente.
- S’il n’y a qu’un problème juridique, le plan doit s’y adapter et être conçu selon 2 ou plusieurs axes, en relation étroite avec le point de droit discuté. Il s’agira souvent de 2 aspects complémentaires (par exemple, une faute a pu être analysée comme la violation d’une règle à laquelle s’est ajoutée une erreur de conduite) ou de 2 aspects opposés (par exemple : le nom est considéré par le pourvoi comme l’objet d’un droit de propriété, alors que la Cour de cassation en fait un droit de la personnalité.)
Un autre plan possible. On pourrait consacrer une 1re partie à indiquer le sens de l’arrêt d’après le contexte antérieur : loi, doctrine, jurisprudence et se livrer dans une 2e partie à une étude critique de la valeur de l’arrêt en motivant juridiquement toute prise de position.
Enfin la portée de l’arrêt, c’est-à-dire son influence sur la doctrine et la jurisprudence postérieure, voire sur les textes, peut généralement constituer une conclusion ; toutefois si elle est très importante, on aura intérêt à la traiter dans la 2e partie sous forme de sous-partie”. Ces développements, ci-dessous montrent comment un commentaire d’arrêt doit être mené. De façon plus simple, les étapes du raisonnement se présentent comme suit :
Une introduction :
- Quelques phrases pour situer le sujet et “amener” la décision ;
- Le résumé très rapide mais très complet et très précis des faits de la cause ;
- Le déroulement chronologique de la procédure jusqu’à la décision analysée, aussi complet que possible ;
- Le ou les problèmes juridiques posés et en quelques mots très brefs, la ou les solutions.
Un développement :
Pour réussir le développement du commentaire d’arrêt
S’il s’agit d’un Arrêt unique :
- Il s’agit d’apprécier la solution donnée par le juge ;
- Dire si oui ou non, elle correspond à la réalité des faits et du droit.
En somme, il faut :
1- Dans un premier temps, donner le sens de la décision en expliquant ce que le juge a voulu dire dans sa décision.
2- Dans un second temps, critiquer la décision, c’est-à-dire rechercher sa conformité au droit, (qui est le texte légal ou la jurisprudence), en prendre la défense ou au contraire l’attaquer en droit surtout bien entendu et éventuellement sur d’autres plans.
3- Dans un dernier temps ; découvrir la portée que cette décision a eue ou peut avoir dans l’avenir dans le domaine du droit considéré ou ailleurs.
S’il s’agit d’un commentaire conjoint :
Analyser conjointement les solutions des deux Arrêts en suivant les mêmes étapes de raisonnement que le commentaire d’un seul Arrêt.
Une conclusion :
Elle sera axée essentiellement sur l’apport de l’arrêt, c’est-à-dire de nous dire si nous sommes en présence d’arrêt de principe ou d’un arrêt confirmatif ou d’un arrêt de revirement jurisprudentiel.
NB : Ces quelques indications, très sommaires, ont essentiellement pour but de donner une méthode de travail, mais il est évident qu’il ne s’agit là que d’un cadre souple et non des règles rigides. Il conviendra d’adapter ces conseils à l’arrêt à commenter, mais en conservant toujours à l’esprit trois idées (nécessité absolue) :
- D’un plan très net ;
- D’une analyse aussi précise et concise que possible ;
- D’une discussion toujours parfaitement motivée.
L’étudiant aura d’ailleurs intérêt à lire des "notes de jurisprudence” pour se familiariser avec la technique de cet exercice si particulier qu’il aborde pour la première fois.
- Pour mener la discussion, il faut d’abord faire le point des divers arguments en présence, en général, ces arguments sont reproduits dans l’arrêt, qui expose les thèses des parties, puis celle de l’arrêt, (arrêt de la cour d’appel) ou la thèse du pourvoi et celle de la Cour de cassation (arrêt de la Cour de cassation). On recherchera donc dans le texte de l’arrêt ces divers arguments que l’on s’efforcera de séparer et de clarifier s’ils se présentent sous forme enchevêtrée.
Parfois, au contraire, l’arrêt affirme une solution sans la justifier. Il faut alors chercher en dehors de l’arrêt (dans des arrêts antérieurs, dans le cours, dans les manuels) sa justification. De toute façon, il n’est jamais interdit d’ajouter d’autres arguments à ceux de l’arrêt.
- Les divers arguments étant réunis, il faut les ordonner, pour que le commentaire soit présenté logiquement.
Plusieurs plans sont possibles :
Arguments de droit, puis arguments de fait ou d’équité ;
Arguments pour, puis arguments contre (ou inversement) ;
Arguments contenus dans l’arrêt, puis autres arguments.
Le premier type de plan parait le meilleur, car il peut toujours être utilisé. Mais, selon les espèces, les deux autres (la liste n’est d’ailleurs pas limitative) pourront lui être préférés. L'exposé de ces arguments, discutés un à un, doit se terminer par votre opinion sur l’intérêt. Le commentaire est un jugement de valeur porté sur une décision.
Si le jugement porté sur un arrêt doit être ferme et motivé, il doit aussi être exprimé avec mesure et discrétion. Les expressions telles que "la Cour de cassation a été mal avisée de ...” ou "la cour a commis une erreur grossière en jugeant que " sont à proscrire absolument.
En toute hypothèse d’ailleurs, une critique exprimée en termes mesurés a beaucoup plus de poids qu’une affirmation agressive, polémique ou désobligeante.
La portée de l’arrêt
Un commentaire n’a de valeur que s’il est orienté vers l’avenir, et s’il permet de mesurer la portée de l’arrêt, c’est-à-dire les conséquences qu’il est susceptible d’entraîner, et, éventuellement, les développements futurs qu’il annonce.
L’étude de la portée de l’arrêt complète ainsi heureusement celle de ses précédents et de son sens actuel, et achève de le situer dans la vie juridique. Pour cela, il faut d’abord se demander si l’on est en présence d’un arrêt d’espèce ou d’un arrêt de principe.
L'arrêt est un arrêt d’espèce s’il se contente d’apporter une entorse à un principe, en fonction d'une hypothèse de fait particulièrement favorable, et qui ne risque pas de se reproduire trop souvent. Il en est ainsi, assez fréquemment, des arrêts de rejet de la Cour de cassation. La Cour de cassation statue en équité lorsqu’elle constate que la décision entreprise est juste et que, mieux rédigée, elle échapperait à sa censure.
Mais il arrive également qu’un revirement de jurisprudence se fasse annoncer par des arrêts d'espèce. Une grande prudence est donc nécessaire dans l’appréciation des arrêts de rejet.
Les arrêts de cassation en revanche, sont généralement des arrêts de principe, en raison de la pratique du “chapeau” dans lequel la Cour de cassation indique à la cour de renvoi la règle juridique à suivre.
De toute façon, lorsque le commentaire porte sur un arrêt ancien, il faut rechercher les décisions postérieures à l’arrêt commenté.
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